1212.jpg

Quatre siècles de littérature alpine à Grenoble

Jusqu’au 10 décembre 2011, la Bibliothèque d’étude et d’information de Grenoble présente une exposition intitulée Regards sur les Alpes, 100 livres d’exception (1515-1908). Cent ouvrages issus en partie de son propre fonds, mais aussi des collections d’une quinzaine d’autres partenaires. Parmi ces originaux cultes, beaucoup de spécimens rares, qui raviront les bibliophiles comme les «montagnophiles ».

Derrière la toute nouvelle exposition de la Bibliothèque municipal de Grenoble, Regards sur les Alpes, 100 livres d’exception (1515-1908), il y a un duo incontournable, dès lors que l’on associe livre et  montagne, Jacques Perret et Raymond Joffre. Le premier est ingénieur conseil spécialisé dans l’aménagement de la montagne. Dans le privé, ce Haut-Savoyard est un alpiniste amateur et surtout collectionneur boulimique de livres sur la montagne dont il est devenu un expert reconnu. Le second, Raymond Joffre, est une figure incontournable de Grenoble, libraire, éditeur de livres de montagne et président d’Ex-Libris Dauphiné, association qui milite pour la littérature alpine. Ces deux-là n’en sont pas à leur premier fait d’armes en commun ! En 1997, ils ont publié aux éditions de Belledonne, maison de Raymond Joffre, le Guide des livres sur la montagne et l’alpinisme, véritable bible pour les experts, les chercheurs et les collectionneurs de livres de montagne. Ses deux tomes répertorient près de 5000 ouvrages. « Parmi toutes ces références, j’avais envie de sélectionner les cent livres les plus remarquables dans le but de faire un nouveau livre ». Celui-ci sort le 15 octobre aux éditions du Mont-Blanc et a servi à réaliser l’exposition éponyme de la Bibliothèque, dont Jacques Perret et Marie-Françoise Bois-Delatte, responsable du Fonds patrimonial des Bibliothèques municipales de Grenoble, sont les commissaires.

Le mont Blanc dans Scenes from the snow fields par E.T. Coleman (1859)
Le mont Blanc dans Scenes from the snow fields par E.T. Coleman (1859)

L’engouement pour les glaciers et le mont Blanc
Regards sur les Alpes
est organisée en quinze étapes qui remontent quatre siècles de littérature alpine. Elle démarre sur une date bien connue de chacun d’entre nous, 1515, pour s’achever en 1908. « Après cette date, on passe à la montagne moderne », justifie Jacques Perret qui envisage de la traiter dans un prochain ouvrage. « Les premiers regards portés sur la montagne sont d’abord militaires. On franchit les montagnes, lieux alors craints et « maudits », pour les besoins de la guerre et du commerce », rappelle-t-il en citant à l’appui le livre de Jacques Signot, Totale et Vraie Description de tous les passaiges (…) par lesquels on peut passer et entrer des Gaules ès Italie, publiée en 1515. Un ouvrage qui aurait largement aidé les généraux de François 1er à franchir les Alpes pour aller remporter la fameuse bataille de Marignan.  «C’est à la Renaissance que les Alpes commencent à susciter un réel intérêt » », poursuit Jacques Perret. Si les ouvrages sont surtout descriptifs et topographiques, à partir du XVIIIe siècle, ils prennent un caractère beaucoup plus littéraire, notamment avec Albert de Haller et bien sûr, Jean-Jacques Rousseau, dont la Nouvelle Héloïse exalte le sentiment de la montagne, que diffuseront ensuite les auteurs romantiques. 
A la fin du XVIIIe, les Alpes deviennent un grand laboratoire d’études pour les scientifiques. Parmi ceux-ci, le naturaliste et géologue Horace-Bénédict de Saussure avec son Voyage dans les Alpes ou encore le botaniste Dominique Villars et son Histoire des plantes du Dauphiné. Au XIXe siècle, âge d’or de l’alpinisme, la littérature de montagne est dominée par le récit de conquêtes des sommets des Alpes, sous l’impulsion des alpinistes britanniques. Un livre emblématique, Escalades dans les Alpes d’Edward Whymper, dans lequel l’alpiniste anglais raconte, entre autres, son ascension tragique du Cervin. L’exposition présente la toute première édition d’un livre toujours réédité. 

Une iconographie très variée
L’évolution des techniques de gravure va permettre de démocratiser l’édition d’albums illustrés, que la technique de l’estampe réserve à une élite fortunée. L’exposition présente un modèle du genre prêté par la BNF : Vues remarquables des montagnes de la Suisse avec leur description. Publié à Berne en 1776, il est enrichi d’estampes plus belles les unes que les autres ! Avec la lithographie, les « beaux livres » deviennent plus accessibles, à l’image du célèbre Nice et Savoie paru en 1864 à la demande de Napoléon III pour présenter aux Français les nouveaux territoires annexés. A la même époque est publié, toujours à la demande de Napoléon III, le premier album d’images du Mont-Blanc, avec des photographies des frères Bisson, chef-d’œuvre de l’art photographique. Un ouvrage de référence sur les livres consacrés au toit de l’Europe et qui feront florès ensuite.
Près de 50% des cent livres exposés proviennent des collections de la Bibliothèque de Grenoble, et notamment du fonds dauphinois, et du Musée dauphinois qui conserve le fonds May dédié à la montagne (livres et photos). L’autre moitié est constituée de prêts d’institutions publiques et privées, ainsi que de particuliers, collectionneurs passionnés.
Sophie Chanaron

3 questions à Jacques Perret

Jacques Perret, co-commissaire de l’exposition Regards sur les Alpes
Jacques Perret, co-commissaire de l’exposition Regards sur les Alpes


Les best-sellers de l’exposition ?
 « Si l’on prend en compte les éditions anciennes, celles du vivant de l’auteur et pas seulement la première édition, le plus gros tirage est probablement la Nouvelle Héloïse » de Rousseau qui a été un véritable best-seller. Nice et Savoie, le Saussure, les Impressions de voyage de Dumas et le Whymper ont connu aussi des tirages importants, ces deux derniers étant encore réédités de nos jours.
La pièce la plus rare ?
L’exemplaire des Impressions de Voyage en Suisse de Dumas, issu du tout premier tirage et qui compte cinq volumes complet est sans doute la pièce parmi les plus rares de l’exposition. Il en existe un autre exemplaire vendu à Paris en 1981 (vente Alajaouine), mais j’ai perdu sa trace. J’ai recensé plusieurs exemplaires incomplets (dont celui de la BNF), ou composites (avec certains des volumes en deuxième ou troisième tirage). Cela étant, il est possible qu’il existe des exemplaires inconnus conservés dans des collections privées, ou non recensés dans les catalogues en ligne des bibliothèques publiques.
Le livre le plus cher ?
Il est très difficile de donner un cote fiable à un ouvrage. Celle-ci dépend de son intérêt, de sa rareté, de sa beauté, de son état et des circonstances. Pour des questions d’assurances nous avons dû estimer les ouvrages exposés et les albums illustrés de gravures sur cuivres aquarellées ainsi que les ouvrages anciens illustrés de gravures sur bois ou sur cuivre, sont les plus cotés.

3 questions à Marie-Françoise Bois-Delatte :  

Quels sont les quatre ou cinq livres les plus remarquables de l’exposition et pourquoi ?
« Libellus de lacte » de Conrad Gesner (1541) comportant la lettre de l’auteur à Jacques Vogel sur l’admiration des montagnes ; c’est le premier hommage rendu à la beauté des Alpes. Les célèbres « Voyages dans les Alpes » (1779-1796) d’Horace-Bénédict de Saussure, véritable somme d’observations scientifiques sur les lieux et les hommes ; les grands volumes à planches ont aussi ma préférence, par la richesse et la qualité de leur iconographie. Celui de la BNF, Vues remarquables des montagnes de la Suisse avec leur description est l’un de ceux que je trouve remarquable ; il y a également les volumes illustrés par les Lory dont Voyage pittoresque de Genève à Milan par la route du Simplon (1811) et celui de Jean-François Albanis Beaumont, Voyage pittoresque aux Alpes pennines » (1787) ;enfin, le célèbre « Album du Dauphiné » de V. Cassien et A. Debelle (1835-1839) qui est conservé à la BM de Grenoble dans ses brochages d’origine en livraisons.

Le fonds dauphinois procède-t-il à des acquisitions sur cette période 1515-1908 ?
selon les opportunités, nous continuons bien sûr d’enrichir ces collections patrimoniales, qu’elles relèvent du fonds dauphinois ou du fonds général ; nous venons d’ailleurs d’acquérir l’édition originale de Scrambles amongst the Alps de Whymper (1871), présentée dans l’exposition. Evidemment, il y a sans doute sur le marché certains des volumes qui ne font pas encore partie de nos collections et figurent dans l’exposition ; mais nous ne devons pas non plus doublonner des collections locales déjà existantes (bibliothèques locales ou de la région Rhône-Alpes par exemple).

Sur la période moderne (post 1910), le fonds possède-il des « pépites » ? Si oui lesquelles ?
sur la période postérieure à 1908, nous possédons aussi les principaux ouvrages sur les Alpes et la montagne, en particulier ceux édités par les éditions Gratier et Rey, Rey, puis Arthaud, célèbre lignée d’éditeurs grenoblois (dont les écrits de Frison-Roche qu’ils ont édités), ainsi que plus près de nous les éditions Guérin et Glénat.

 

Regards sur les Alpes s’accompagne de visites guidées, de conférences et du livre-catalogue éponyme réalisé par Yves Perret et publié à la toute nouvelle maison, les éditions du Mont-Blanc à la mi-octobre (272 pages, 55€). Horaires sur www.bm-grenoble.fr


 

📰 Recevez notre newsletter gratuitement !

Recevez chaque lundi le debrief de la semaine passée !

Suivez-nous également sur Facebook

Avatar de

Territoires liés :