À une semaine du coup d’envoi des vacances de Noël, la Compagnie des Alpes annonce un engagement historique avec Poma, à qui elle vient de garantir une commande d’appareils pour un montant 200 millions d’euros, d’ici à 2026. Les explications de ce choix en faveur du Made in the Alpes avec Dominique Thillaud, son directeur général, qui rappelle par ailleurs les actions phares du groupe dans le domaine de l’environnement et les principes de sa diversification.
En préambule, êtes-vous serein à l’aube de la saison d’hiver 2022-2023 ?
Oui ! Il y a un an, nous bataillions pour savoir qui pouvait embarquer dans nos remontées mécaniques, s’il fallait ou pas le pass sanitaire, le marché britannique avait été fermé jusqu’à la fin janvier… Nous étions dans le doute, mais finalement la saison hivernale s’est avérée très bonne. Le chiffre d’affaires des Domaines skiables 2021-2022 s’établit à 455,5 M€, en progression de 12,8% par rapport à 2018-2019. Les journées skieurs ont légèrement reculé en volume en raison de l’absence des Britanniques pendant un mois et demi, mais il y eu un appétit féroce des clients pour vivre l’expérience incroyable des vacances à la montagne. Dans cette période sidérante du Covid, nous ne savons jamais comment les choses vont se passer. La confiance est revenue. Nous sommes déjà naturellement optimistes, là nous le sommes encore plus. Les prévisions pour la saison d’hiver 2022-2023 tablent sur une croissance entre +2 et +5% de l’activité par rapport à l’année dernière. Si nous sommes bien dans cette fourchette, je serais très satisfait.
Quelles sont vos réponses face à la flambée des coûts de l’électricité ?
Tout d’abord, je veux souligner que nous poursuivons notre politique d’investissement en dépit du choc sur l’électricité. Nous avons annoncé que nous allions compenser ces hausses, soit par des mesures de sobriété énergétique, soit par une façon différente d’opérer, mais jamais au détriment du service au client. Nous nous sommes engagés, comme l’année dernière d’ailleurs, dans une démarche de sobriété énergétique. Nous espérons faire entre 8 et 10% d’économie sur notre consommation, mais pas question de dégrader le service au client, cela n’a pas de sens. Dans un contexte de vive concurrence internationale, perdre un client prend 5 minutes, le regagner prend des années. Notre objectif est d’avoir un rapport qualité prix exceptionnel et offrir une expérience incroyable pour nos clients. Il faut également avoir en tête que si les remontées mécaniques ferment plus tôt dans la journée ou dans la saison, l’impact sur tout l’écosystème de la montagne et de la station où nous opérons sera très important. Nous sommes partenaires de nos délégants, de nos clients, de nos collaborateurs et de nos fournisseurs, dans les bonnes années, comme les moins bonnes.
Cette commande de 200M€ à Poma illustre-t-elle la volonté de la CDA d’instaurer la préférence locale dans ses achats ?
Il s’agit d’un engagement historique avec Poma, inédit dans le secteur de la montagne. Cette enveloppe de 200M€ sera consacrée à la réalisation d’appareils structurants dans presque tous nos sites entre 2023 et 2026 (Transarc aux Arcs, télécabine des Glaciers et de la Roche de Mio à La Plagne, télésiège de l’Aiguille rouge à Tignes, du Sairon au Grand Massif…). La Compagnie des Alpes est un très gros acheteur sur le marché. Notre rôle est effectivement de contribuer à la réindustrialisation et au développement de l’activité économique de la région. Oui, nous allons privilégier le Made in France et même le Made in the Alpes. Cette coopération avec Poma s’inscrit dans notre volonté de contribuer à l’essor des territoires où la CDA est implantée. Nous voulons que nos investissements génèrent le plus de retombées économiques possible en local. Poma fabrique en France, il donne du travail à plus de 1300 collaborateurs dans les vallées alpines. Acteur majeur de la mobilité douce et éco-responsable, le leader mondial du transport par câble partage par ailleurs les mêmes valeurs que nous en matière environnementale. Dans nos appels d’offres, nous incluons maintenant une clause privilégiant, à conditions égales, les fournisseurs ayant eux-mêmes une trajectoire de réduction de leur empreinte carbone alignée sur les Accords de Paris.
Quels sont vos principaux engagements pour le climat ?
La CDA s’est fixée comme objectif d’atteindre le Net Zéro Carbone en 2026 pour l’ensemble des domaines skiables, qui ont chacun une feuille de route pour y arriver. Le groupe s’engage à ce que les résultats intermédiaires pour atteindre cet objectif soient rendus publics annuellement. Nos émissions de gaz à effet de serre sont désormais vérifiés par nos Commissaires aux comptes. Ils ont la même exigence sur nos émissions que sur la gestion de nos euros ! Dès cette saison, nous bannissons les énergies fossiles de nos dameuses qui vont tourner au HVO. Nous passons par ailleurs à une nouvelle phase de tests sur la dameuse électrique que nous développons avec la société iséroise Dupon. Si elle a l’autonomie et les performances que nous souhaitons, le choix de cet engin s’imposera. Comme partout, nous attendons la preuve par les résultats. Dans quelques mois, nous allons annoncer des initiatives concrètes sur la biodiversité et la gestion de l’eau, mais toujours sur des bases scientifiques. Des études scientifiques sont en cours, nous avons recruté des doctorants pour travailler sur un certain nombres de sujets. Nous n’en faisons pas la publicité car l’essentiel ce sont les résultats. J’entends l’appel à la vertu environnementale. Nous prônons la sobriété énergétique mais nous faisons aussi des efforts partout.
Le déploiement du Travelski Express s’inscrit-t-il dans votre démarche de neutralité carbone ?
Il entre dans les actions de notre périmètre élargi (scope 3) par rapport à nos activités. L’hiver dernier, nous avons relancé la ligne ferroviaire Londres – Moûtiers – Bourg-Saint-Maurice (suite à l’arrêt de la liaison par Eurostar), avec le Travelski Express. Pour cet hiver, nous déployons également une liaison en train vers les stations alpines depuis Paris toujours dans le cadre d’une offre packagée porte à porte (bus de la gare à l’hébergement en station compris). Une vingtaine de stations de Tarentaise et de Maurienne sont concernées. Si l’an dernier l’offre était proposée uniquement dans les stations où l’on opère -c’est nous qui prenions le risque financier-, cette année, nous l’ouvrons à d’autres stations. Cette concurrence entre stations françaises est ridicule, les skieurs tournent, et nous pensons qu’ils viendront à un moment chez nous. Une fois de plus, en tant que leader de notre industrie, nous agissons au bénéfice de tout le territoire. Nous faisons notre part pour faire baisser l’empreinte carbone de la mobilité vers les stations de montagne. Avec le Travelski Express depuis Londres, je suis certain que j’enlève des avions. Le gain en tonnes de Co2 est colossal et immédiat. Depuis Paris, nous espérons réduire le nombre de véhicules sur les routes alpines.
Vous avez racheté Évolution 2, puis MMV, avez-vous d’autres projets de diversification ?
Je veux dire ici tout de suite que la CDA n’a pas l’intention de racheter des restaurants en cœur de station, ni des magasins de sports en station, et pas davantage des écoles 100% ski ! Nous n’allons pas vers le modèle d’une station intégrée. Surtout pas ! Beaucoup d’acteurs veulent se vendre à la CDA. Je rappelle que l’acquisition d’Évolution 2 s’est inscrite dans le cadre de notre stratégie de développement de l’été, cette école étant reconnue pour la qualité de son offre outdoor. Quant au rachat de MMV cette année, il participe à notre volonté de lutter contre le refroidissement des lits touristiques. Tout le monde sait que le vrai actif stratégique de la montagne, c’est l’hébergement. Il nous fallait un outil pour pouvoir être un acteur, voire un investisseur, pour maintenir les lits chauds en montagne. Nous pensons avoir acquis le meilleur acteur pour y arriver. Nous lui donnons les moyens d’accélérer son développement, hiver comme été.
Propos recueillis par Sophie Chanaron
Compensations fermeture remontées mécaniques : pas un euro trop perçu
Cet automne la Chambre régionale des comptes avait pointé dans un rapport que certaines stations auraient profité d’un effet d’aubaine avec les aides financières accordées par l’Etat pour compenser la fermeture des remontées mécaniques lors de l’hiver 2020-2021 pour freiner la pandémie. « Je ne commente pas les dires de la Chambre régionale des comptes. Il y avait une procédure mise en place par la loi. Nous l’avons appliquée strictement et des certificats l’attestent », estime Dominique Thillaud, qui dément que ses domaines skiables aient été surcompensés par rapport au dispositif légal (le rapport de la CRC citaient notamment La Plagne et Tignes). « Je suis très serein sur ce sujet-là. Nous n’avons eu aucune obligation de remboursement de quoi que ce soit ». Et de rappeler que la CDA n’a pas distribué de dividendes cette année en question et qu’elle n’a pas non plus baissé ses investissements, alors que la perte de chiffre d’affaires avoisinait 800M€. « L’essentiel de cette compensation a été réinvestie dans notre outil de travail, donc dans le territoire ».