La fondation Facim* propose de partir à la découverte du monde pastoral en rencontrant des alpagistes, ces hommes et ces femmes qui à la belle saison montent en altitude avec les troupeaux pour les faire pâturer dans l’herbe grasse et goûteuse des alpages. L’occasion de belles rencontres, comme celle de Pauline, rare femme à exercer le métier de fromager sur l’AOC beaufort.
Pauline Collonge aurait-elle pu être l’une des héroïnes d’un film d’Eric Rohmer, disparu en janvier dernier, auteur du cultissime Pauline à la plage ? Possible, car comme les personnages féminins du cinéaste, elle est exaltée et aime à raconter sa passion, en l’occurrence son métier de fromager. "L’hiver, je suis basée au Gaec des frères Juglaret à Bourg-Saint-Maurice, et l’été, à partir du 15 juin, je m’installe à 1700 m d’altitude, dans leur alpage de la Ville des Glaciers, dans la vallée des Chapieux, au-dessus de Bourg-Saint-Maurice. J’y reste jusqu’à la mi-octobre, en compagnie de deux bergers et deux autres alpagistes pour s’occuper d’un troupeau de 180 vaches". C’est sa période de prédilection, car cette jeune femme de 28 ans, y savoure chaque jour, tous les ingrédients qui lui ont fait choisir la filière du lait au sortir d’un bac S : la montagne, les vaches, l’esprit d’équipe, la réalisation d’un produit noble, en l’occurrence le beaufort, le prince des gruyères. Pourtant, pendant quatre mois, elle enchaîne les journées de dur labeur, sans un jour de congé et sans redescendre à la ville.
Dès 7h30, elle prend les commandes de l’atelier de fabrication de l’alpage, pour transformer en fromage, le lait de la traite du matin, collectée par Bernard et Michel Juglaret. Et rebelote, le soir, à partir de 18h, avec le lait de la traite du soir. En dépit de son jeune âge, Pauline fait preuve d’un savoir-faire impressionnant. Les étapes de la fabrication se succèdent avec des gestes précis et rigoureux : caillage, décaillage, brassage, cuisson, moulage et pressage des meules, saumurage mais aussi affinage des fromages, opération qui, dans les plus grandes unités, est effectuée par les cavistes.
Un monde d’hommes
Malgré la mécanisation de certaines étapes et le respect scrupuleux des températures et du chronomètre, rien ne remplace l’expérience, l’habileté, l’intuition que la jeune femme a acquises au fil de ses quatre années passées dans différentes exploitation et coopératives fromagères de Savoie. Mais au-delà de son savoir-faire technique, Pauline impressionne par sa force de caractère. Elle a su trouver sa place et s’imposer dans un monde d’hommes. "Cela n’a pas toujours été facile, surtout au début quand les employeurs doutaient que je puisse faire le boulot car, pour eux, je n’étais pas assez physique". Il faut dire, que quand on la rencontre pour la première fois, toute mince dans son long tablier, on se demande comment elle arrive à manipuler des meules de beaufort dont le poids -50 kg en moyenne- avoisine le sien ! "C’est un coup à prendre et puis au moins, je n’ai plus besoin de faire de muscu !", plaisante-t-elle.
Pauline se révèle aussi une ambassadrice extraordinaire pour le monde agricole. En compagnie de Bernard, elle accueille à l’alpage de la Ville des Glaciers, les randonneurs et leur explique avec un enthousiasme communicatif les secrets de la fabrication du beaufort. Elle convertirait une classe entière à suivre la même carrière qu’elle ! "Quand il y a des ados dans les groupes, j’en profite effectivement pour vanter auprès d’eux les métiers manuels, et ceux de la filière du beaufort en particulier. Au-delà de la satisfaction de créer un produit, de A jusqu’à Z, on travaille dans un environnement formidable et on gagne plutôt bien sa vie". C’est d’ailleurs à l’occasion de son stage de 3e, dans la coopérative laitière de Lans-le-Bourg, en Maurienne, qu’a germé dans sa tête l’idée de rejoindre le monde agricole qui n’était pourtant pas le sien. A bon entendeur !
Sophie Chanaron
*Fondation pour l’action culturelle internationale en montagne