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Pour un droit au risque en montagne

Après « Secours extrêmes en montagne et milieu vertical »* en 2004, Marcel Pérès, préfet, ancien directeur de cabinet du préfet de l’Isère et ancien de l’Ecole nationale de ski et d’alpinisme à Chamonix, récidive. Il signe aux Presses Universitaires de Grenoble, un livre inédit sur le droit et la responsabilité en montagne. La « bible » que tous les professionnels attendaient, dans un contexte de judiciarisation de la montagne et un ouvrage utile au pratiquant amateur. Rencontre.

Quel est l’objet de votre livre « Droit et responsabilité en montagne – Jurisprudence relative aux activités sportives et touristiques en montagne ?
Il n’y avait rien eu sur le sujet depuis le livre de Pierre Sarraz-Bournet et Jean-Louis Grand paru en 1982, Montagne, Droit et Sauvetage*. Une époque où la jurisprudence concernant les accidents en montagne était encore rare. J’ai donc voulu mettre à la portée de tous les pratiquants de la montagne, élus, professionnels, enseignants mais aussi touristes, la jurisprudence récente résultant des apports des dernières lois en vigueur concernant les responsabilités administratives, pénales et civiles dans la pratique d’activités sportives et touristiques. Et cela tant dans les stations de sports d’hiver ou les parcs de loisirs aménagés et payants, que dans les espaces naturels en montagne. Alors que l’ouvrage de Pierre Sarraz-Bournet couvrait essentiellement l’alpinisme et un peu l’escalade, le mien traite de toutes les pratiques sportives et de loisirs en montagne : l’alpinisme, le ski de randonnée, la raquette mais aussi le parapente, la via ferrata, ou le canyoning.

A travers cet ouvrage, au fond, vous interpellez la société sur sa tentation sécuritaire, notamment à l’égard de la montagne ?
Depuis plusieurs années, la montagne est de plus en plus saisie par le droit. En témoigne la multiplication des affaires de responsabilités civiles et pénales devant les tribunaux, générant une abondante jurisprudence. Si d’un côté, la société exalte la prise de risque, l’exploit sportif, l’aventure, le « fun », de l’autre, elle verse dans l’idéologie sécuritaire du risque zéro. Or celui-ci ne peut être retenu en montagne, sous peine de mettre en péril certaines pratiques sportives et les métiers s’y rapportant. Comme je l’explique dans cet essai, je suis non seulement partisan de l’application du droit commun en matière pénale et civile mais je plaide aussi pour un droit du risque responsable.

Vous soulignez le fait qu’on stimagtise la montagne alors que finalement, l’accidentologie y est sans commune mesure avec celle de la route ?
Je rappelle effectivement, à l’appui des statistiques fiables du SNOSM, Système national d’observation de la sécurité en montagne, la stabilité du nombre des interventions de secours dans les espaces naturels. De même, alors que dans les années 70-80, les deux tiers des accidents mortels survenant en montagne concernaient l’alpinisme et près d’un tiers la randonnée pédestre, la proportion s’est inversée au cours de cette dernière décennie.

Les années 90 ont été plutôt répressives au plan pénal, notamment à l’égard des maires mais aussi des enseignants ou des guides, avec plusieurs affaires retentissantes. Qu’en est-il aujourd’hui ? L’application de la loi du 10 juillet 2000 a incontestablement marqué un tournant dans la jurisprudence qui nous préoccupe car elle a introduit un nouveau type de faute, entre la faute légère et la faute grave : la faute caractérisée. Cette loi, dite loi Fauchon, réclamée comme une sorte de bouclier par les élus locaux et en particuliers les maires des communes de montagne après plusieurs jugements considérés comme sévères par ces derniers, concerne les auteurs indirects de délits non intentionnels. Comme je le dis dans mon livre, l’examen de ses applications jurisprudentielles ne montre pas qu’elle exonère les élus ni les professionnels de la montagne, les bénévoles ou les enseignants, mais cette loi est incontestablement plus douce pour eux en rendant a priori plus difficile leur mise en cause. Mais l’application de cette loi du 10 juillet 2000 est plus jamais affaire d’espèces pour l’auteur indirect d’un délit non intentionnel.

Justement, quelles sont les affaires emblématiques montrant la lattitude des juges dans l’appréciation de la faute caractérisée ?
Il y a bien sûr l’affaire du Drac dans laquelle l’institutrice et la directrice de l’école furent d’abord condamnées à deux ans d’emprisonnement avec sursis et à des amendes avant d’être relaxée en 2001 par la cour d’appel de Lyon en vertu de l’application de cette loi du 10 juillet 2000. Ensuite, citons l’avalanche meurtrière de Montroc près de Chamonix où en 1999 douze personnes périrent. Le tribunal correctionnel de Bonneville a condamné le maire à trois mois d’emprisonnement avec sursis alors que le procureur de la République avait requis le non lieu.

Vous avez souhaité reverser les droits de votre livre à une association qui s’occupe de l’éducation jeunes népalais, l’illustration de la solidarité montagnarde ? L’association Solidarité Kang Kuru a été créée pour venir en aide aux familles des victimes népalaises de l’avalanche du 20 octobre 2005, qui a enseveli le camp de base d’une expédition française dans le massif de l’Annapurna au Népal, provoquant la mort de sept alpinistes français et de onze sherpas. Le chef de cette expédition était Daniel Stolzenberg, un guide de haute montagne chevronné, un expert remarquable auprès des tribunaux et qui avait renoncé à atteindre le sommet qu’il convoitait en raison des conditions sur place. L’association Kang Kuru s’occupe de scolariser les 23 orphelins originaires du même village qu’a laissés ce drame.

Propos recueillis par Sophie Chanaron

Droit et responsabilité en montagne. Jurisprudence relative aux activités sportives et touristiques en montagne. Marcel Pérès PUG – Des mises à jour régulières rédigées par l’auteur au grès de l’évolution de la jurisprudence seront consultables sur le site www.pug.fr

*Editions Libris publié à la suite de son rapport en 2003 sur les secours en montagne préconisant la poursuite de leur gratuité

 

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