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Raphaël Poirée, jeune retraité heureux

   

 

Raphaël Poirée a mis,  dimanche 1er avril,  un terme définitif à sa carrière de biathlète, après avoir remporté un 10è et dernier titre de champion de France (en mass start) au Grand Bornand. Nous avions rencontré le champion de la Chapelle-en-Vercors à la veille de cette ultime course. Interview.

actumontagne.com : Dans quel état d’esprit abordez-vous cette mass start  des championnats de France, ultime compétition de votre carrière ?
Il ne s’agira pas d’un jubilé. Je compte bien me donner à fond et faire le spectacle. Par respect pour le public, qui est venu en masse pour me voir – certains ont même fait le déplacement depuis le Nord de la France – je me dois de faire le maximum pour finir sur une victoire. A la rigueur, vu l’engouement généré par ma dernière épreuve, j’ai presque plus de pression que pour un championnat du monde. Et puis de toute façon, quand je m’aligne au départ d’une course, c’est toujours pour la gagner.

actumontagne.com : Revenons sur votre décision d’arrêter votre carrière. Quand l’avez-vous prise, et pourquoi ?
J’ai commencé à réfléchir à cette question après les Jeux Olympiques de Turin l’année dernière. A l’époque, je me disais que je continuerais ma carrière pendant encore une saison, peut-être deux. Mais je ne m’étais pas encore fixé de date précise. Cet hiver, j’ai dû consentir à de nombreux sacrifices pour préparer les championnats du monde, car je voulais y remporter une nouvelle médaille d’or. Du coup, je n’ai pas pu être présent lorsque Liv (sa femme, ancienne biathlète norvégienne) a accouché. J’ai « assisté » à la naissance de notre deuxième fille par téléphone, c’était vraiment très dur. C’est à ce moment-là que j’ai décidé que j’arrêterais à la fin de l’hiver. Comme j’ai toujours voulu partir au sommet, j’ai jugé idéal d’annoncer ma décision juste après avoir remporté le titre mondial sur l’individuel.

actumontagne.com : Vous avez disputé votre dernière course de coupe du monde à Oslo, et renoncé à vous rendre en Russie où se déroulait la dernière étape de la saison. Or, Michael Greis et Ole-Einar Bjoerndalen, vos principaux rivaux cet hiver, n’y ont pas brillé. Eprouvez-vous des regrets par rapport à ça ?
Non, aucun. Bien sûr, vu les circonstances, j’aurais sans doute pu remporter une cinquième coupe du monde au général en allant en Russie (Poirée a finalement terminé troisième du classement général). Mais si c’était à refaire, je ne changerais rien. Il y avait une ferveur incroyable en Norvège, j’en ai encore la chair de poule. Je n’aurais pas pu ressentir la même émotion en Russie. Et puis finir sur un duel aussi intense face à Bjoerndalen pour ma dernière compétition internationale (le Norvégien a remporté la course pour un petit centimètre, les deux hommes ayant été départagé à la photo-finish), je ne pouvais pas rêver mieux.

Raphaël Poirée en compagnie de Florence Baverel-Robert, autre jeune retraitée de l’équipe de France

actumontagne.com : Votre rivalité avec Bjoerndalen a marqué les dix dernières années de la coupe du monde. Auriez-vous pu réaliser la même carrière sans cet adversaire hors normes ?
Je ne pense pas. Bjoerndalen m’a incité à repousser mes limites. Je lui dois beaucoup. C’est en l’observant que j’ai compris que je ne pourrais pas me contenter de faire le mouton pour espérer devenir un grand champion. Il m’a en quelque sorte indirectement appris à trouver ma propre voie, à être moi-même.

actumontagne.com : Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
Je ne retiendrai pas une course ou une année en particulier, mais plutôt tous les investissements personnels que j’ai dû faire pour arriver à ce niveau. J’ai dû faire des choix de vie décisifs pour devenir champion du monde, mon rêve de gamin. Même si ce fut un échec sur le plan sportif, je garde néanmoins un très grand souvenir des Jeux de Nagano en 1998. C’est sans doute à ce moment-là que j’ai le plus appris. On tire toujours plus d’enseignements de ses défaites que de ses victoires.

actumontagne.com : Quels sont vos projets d’avenir ?
Je vais enfin pouvoir profiter pleinement de ma famille, notamment de mes deux filles. Au niveau professionnel, je dois encore deux ans de contrat à l’armée de terre, mon employeur. Je me tiens donc à leur disposition. Je pourrais par exemple être amené à donner un coup de main pour l’organisation des championnats du monde militaires. Je compte aussi écrire un livre qui retracera l’évolution de ma carrière, dans lequel j’évoquerai tout ce que m’a apporté le biathlon, tant au niveau sportif que dans ma vie de tous les jours.

actumontagne.com : Comptez-vous rester dans le giron de l’équipe de France ?
Oui, car je souhaite transmettre aux jeunes qui arrivent toute l’expérience accumulée au cours de ma carrière. Mais je dois encore définir la forme que prendra cette collaboration. Ce qui est sûr, c’est que je ne deviendrai pas entraîneur à plein temps. S’il s’agit de continuer à vivre plusieurs mois de l’année loin de ma famille, autant rester athlète. Mais je compte bien aider la fédération française d’une manière ou d’une autre.

actumontagne.com : Un mot sur Simon Fourcade, qu’on présente souvent comme votre successeur en équipe de France ?
Ce n’est pas un Poirée bis, il ne le veut pas de toute façon et il a bien raison. C’est à lui de trouver sa propre voie pour arriver au sommet. Mais c’est quelqu’un dont j’apprécie la démarche très volontaire. En ce sens, il est un peu comme moi à mes débuts. Il est toujours très demandeur de conseils auprès des athlètes plus expérimentés. C’est pour ça que je l’ai un peu pris sous mon aile cet hiver. En revanche, je n’aurais pas eu la même attitude avec lui s’il n’était pas venu vers moi, parce que ça n’aurait servi à rien.

Propos recueillis par Martin Léger

Un hommage unanime
Nous avons profité de notre passage au Grand Bornand pour interroger certains membres de l’équipe de France de biathlon sur la retraite de Raphaël Poirée. Pour Christian Dumont, directeur des équipes de France, « Raphaël est irremplaçable. Il va beaucoup manquer au biathlon français, mais aussi mondial, car il a énormément contribué à développer et à faire progresser ce sport durant toute sa carrière. » Sylvie Becaert, championne du monde de sprint en 2003, reste impressionnée par le professionnalisme de Poirée. « Il a toujours été à la recherche de la perfection. A chaque entraînement, il avait ce souci du moindre détail, il cherchait sans cesse à gagner la ou les secondes qui font toute la différence en course », explique la biathlète du Grand Bornand. Même son de cloche chez Florence Baverel-Robert, qui a également mis un terme à sa carrière ce week-end. La championne olympique de sprint estime même qu’elle n’aurait pas fait une telle carrière sans lui : « Quand tu voyais sa motivation à l’entraînement, ça rejaillissait forcément sur tous les autres athlètes de l’équipe. En observant les résultats qu’il obtenait à force de travail acharné, je me disais qu’après tout, ça pourrait aussi payer pour moi en suivant cette voie-là. » Bref, Raphaël Poirée aura laissé un souvenir impérissable à la famille du biathlon français. Le champion drômois risque de laisser un grand vide derrière lui.

 

 

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