Après une chute à l’aiguille du Midi, le guide et secouriste Yves Mathelin devient paraplégique. Il parvient à redonner un sens à sa vie grâce à des activités sportives (le ski, l’aviation, le ski nautique et le parapente), et à la volonté de les rendre accessibles aux personnes handicapées. Rencontre avec ce militant actif de l’intégration.
De sa vie avant l’accident, Yves Mathelin parle peu. Il était pourtant guide de haute montagne, membre du PGHM (peloton de gendarmerie de haute montagne) de Chamonix, et candidat à l’Éverest. Mais à 34 ans, sa vie bascule lors d’une chute à l’aiguille du Midi, et c’est sa nouvelle existence qu’il préfère évoquer. Peut-être moins prestigieuse, mais davantage tournée vers les autres, avec toujours un côté hors-norme qui lui colle à la peau, valide ou handicapé.
Rien de gagné pourtant, lorsqu’il se retrouve en fauteuil roulant après un an passé entre hôpital et centres de rééducation. “J’avais perdu mon métier, ma passion, et même la liberté de marcher. Comment passer d’une existence passionnante et gratifiante, où je sauvais des vies humaines, à celle d’un crucifié en fauteuil roulant, sans utilité sociale ? J’étais détruit psychiquement”. Pour fuir la montagne, qui lui renvoie ses frustrations en pleine figure, il part avec sa femme et ses deux filles vivre en Vendée, près de Cholet, sa ville natale. Après deux ans et demi, il refait surface et se sent prêt à “profiter de la montagne uniquement avec les yeux, comme la plupart des gens”.
Il revient donc à Chamonix avec sa famille en 1992. L’hiver suivant, un ami lui fait découvrir le ski assis en Suisse. “La véritable reconstruction de moi-même a commencé là. Le ski assis m’offrait un moyen d’expression sportif au cœur même de la montagne. Cela me permettait de retrouver mon espace vital, un peu comme un oiseau s’échappe de sa cage et reprend sa liberté. Cela me resocialisait aussi, de skier en famille.” Il se rend compte qu’il n’existe pas de structure destinée aux personnes handicapées en France et il crée alors une école de ski spécialisée appelée Ski Assis évasion, en 1995. Réussissant à trouver les financements, il achète du matériel et forme des moniteurs. Cette activité remporte tout de suite un grand succès, qui se poursuit aujourd’hui avec une équipe de dix moniteurs. “C’est la plus belle chose que j’ai réalisée”, affirme-t-il.
Dans une activité engagée, je me sens vivre
Après être devenu un skieur assis émérite et avoir donné la possibilité aux autres de sortir de leur cage eux aussi, voilà Yves Mathelin qui se lance dans l’aviation. Il prouve là, encore une fois, que l’impossible est uniquement dans les têtes. Il apprend à piloter en banlieue parisienne, puis crée en 1997 l’école Espéravia (espérance en l’aviation) à Annecy, pour permettre à d’autres personnes en fauteuil de voler, en baptême ou en autonomie. En 2001, Yves Mathelin obtient la qualification montagne, la première au monde délivrée à une personne handicapée (seuls 300 pilotes valides l’ont en France). “L’aviation de montagne réclame de nombreuses connaissances et une totale maîtrise de soi. La décision d’atterrir est irréversible, contrairement à la plaine, où l’on peut remettre les gaz. J’ai ainsi retrouvé une activité engagée, qui me permet de me sentir vivre”.
Dans la foulée, Yves Mathelin pratique aussi le ski nautique et le parapente. “Depuis 2002, la Fédération française de vol libre fait voler des personnes en chaise-parapente avec la section Hand’Icare. J’ai fait un stage avec eux, d’où je suis revenu habité d’une nouvelle passion, le parapente. Une activité bien loin de l’enfermement que procure le fauteuil roulant. La procédure de décollage est assez rigoureuse, mais une fois en l’air, la différence avec un valide est quasiment annulée. On peut se prendre pour un oiseau et voir le monde de plus haut.”
À 51 ans, Yves Mathelin reste un militant actif de l’intégration. “Depuis seize ans, si je me suis autant investi dans la création de loisirs adaptés, qui sont de véritables écoles de vie, c’est pour prouver que l’on peut faire de son handicap un tremplin”. Son parcours exemplaire vient d’être couronné par la distinction d’homme de l’année 2005 à Chamonix. Un bel exploit, dans une ville entièrement vouée au culte de l’extra-validité !
Jeanne Palay