Quincy, petit village montagnard de Haute-Savoie, est depuis 30 ans le port d’attache de John Berger. Ecrivain et artiste engagé britannique, considéré en Angleterre comme l’un des plus grands penseurs du 20e siècle, il est, curieusement, peu connu en France. Sa trilogie « Dans leur travail », sortie au début des années 90 et inspirée par sa communauté d’adoption, demeure à ce jour, l’un des plus beaux hommages rendus aux paysans de montagne, d’ici et d’ailleurs.
Grand, le regard bleu vif, se déplaçant au volant d’une imposante moto, John Berger, 80 ans, porte beau. Ecrivain britannique prolifique, peintre, critique d’art, scénariste, essayiste, poète, il a choisi, dans les années 70, de s’installer près de Taninges. «Après mon exploration du quotidien des travailleurs immigrés en Europe avec le photographe Jean Mohr, j’ai eu envie de découvrir la réalité du monde paysan dont j’ignorais tout, et qui m’attirait ». C’est ainsi, qu’en sillonnant la région, il débarque en famille à Quincy dans la vallée du Giffre. « Au café où nous nous étions arrêtés, j’ai demandé où je pouvais trouver une location à l’année. Les gens ont semblé étonné que je veuille m’établir ici, ils m’avaient sans doute pris pour un touriste, mais ils m’ont adressé à Angeline, une habitante du village, qui avait un chalet disponible. Et c’est ainsi que nous avons posé nos valises dans ce coin des Alpes».
D’abord accueilli avec réserve, John Berger va rapidement briser la glace avec ses hôtes. Il faut dire qu’il adopte leur mode de vie, participe aux travaux des champs, assiste aux différentes fêtes de village et s’imprègne de leur culture. D’où la justesse des trois livres qu’il a écrit sur le monde paysan* qui, loin de constituer un récit régionaliste, livrent un témoignage universel sur les communautés rurales montagnardes.
Une grande complicité entre John Berger et l’écrivain Marilyne Desbiolles, dont le dernier livre met en scène sa grand-mère haut-savoyarde
En 2006, John Berger est encore étonnement méconnu en France. Discret, à l’écart du petit monde littéraire parisien, il collabore régulièrement au Monde diplomatique et à diverses revues internationales. De l’avis de l’écrivain Maryline Desbiolles, prix Femina en 1999, fervente lectrice de John Berger, l’écrivain britannique entre dans la catégorie des auteurs nobélisables par la dimension et la portée de son œuvre.
L’ignorance de son pays d’adoption ne semble pas émouvoir John Berger. Si son œuvre est « une lumière dans le noir » pour reprendre le titre d’un passionnant article que lui a consacré la revue « Le matricule des anges » (n°71, mars 2006), lui, de toute façon, préfère rester à l’ombre des projecteurs. A 80 ans, sa plume est toujours aussi alerte dans la description du monde qui l’entoure et il ne cesse de s’impliquer dans de nombreux projets où l’humain est au cœur. Et de vous entreprendre sur l’un de ses derniers engagements, l’animation, en compagnie de son fils Yves, d’ateliers de dessin dans des camps de réfugiés palestiniens. Un engagement sur le terrain qui conforte un peu plus sa détermination à être aux côtés des laissés pour compte de la société de consommation.
Sophie Chanaron
*Dans leur travail : La cocadrille, Joue-moi quelque chose et Flamme et Lilas
Carte blanche à John Berger
John Berger et Hervé Gaymard, président de la Facim
La Facim, Fondation pour l’action culturelle internationale en montagne, a donné carte blanche à l’écrivain britannique pour ses 6e Rencontres littéraires, qui, pour l’occasion, s’étaient déplacées en Haute-Savoie, à Taninges, le 13 octobre dernier. John Berger y est venu en voisin. Il a souhaité inviter l’écrivain, Maryline Desbiolles, sa « sœur en écriture », avec laquelle on perçoit une grande complicité. Leurs lectures croisées ont enthousiasmé le public. John Berger a également tenu à organiser avec son fils Yves, une exposition autour de huit artistes dans un lieu qu’il affectionne particulièrement, la chartreuse de Mélan, écrin dédié à l’art contemporain. «Si la Facim m’avait sollicité uniquement pour mon œuvre littéraire, je n’aurais pas accepté l’invitation », précise John Berger. « De la confrontation entre différents artistes naît la créativité, c’est ça qui est intéressant». Exposition « Le blaireau et le roi » jusqu’au 12 novembre 2006 (entrée libre).