L’impatience et la colère montent dans les rangs des acteurs de l’écosystème montagnard, en dépit de rencontres régulières avec les pouvoirs publics et des promesses d’aides. A l’heure des comptes et des projections à quelques jours de la fin théorique de cette saison d’hiver blanche inédite, commerçants d’articles de sports, fabricants de matériel de ski mais aussi aménageurs de la montagne touristique, font face ou vont faire face à de grandes difficultés.
Le 12 mars dernier, l’Afmont (Association des fournisseurs de matériels et services pour la montagne) et le Cluster Montagne, se sont émus de constater que leurs entreprises, pourtant liées à l’économie des stations de montagne, n’étaient toujours pas certaines d’être éligibles aux mesures d’urgence. Ni que la temporalité spécifique de leur activités, différente de celle des remontées mécaniques, n’était encore prise en compte.
Une activité en chute de plus de 70%
En 2021, écrivent-elles dans un communiqué commun, 65 % des entreprises de l’aménagement de la montagne envisagent une baisse de CA de plus de 50 % et 25 % prévoient même une baisse supérieure à 70 %. Le recours au chômage partiel est massif (plus de 50 % des entreprises), des licenciements sont déjà une réalité et de nombreux autres sont annoncés. « C’est toute une filière industrielle française reconnue au niveau mondial qui est en péril », affirment les deux organisations qui n’envisagent pas de reprise avant le printemps 2022.
Des réunions et des tergiversations sur les aides
Aujourd’hui, c’est l’Union Sport et Cycle, première organisation professionnelle de la filière sport & loisirs, qui s’alarme et hausse le ton à l’égard des autorités, malgré les rendez-vous et réunions hebdomadaires avec Bercy, le ministère du Travail, celui des Sports et du Premier Ministre et son cabinet. « Les choses avancent, mais trop lentement pour une majorité de nos entreprises qui sont au bord de la rupture après un an de crise », souligne Virgile Caillet, délégué général de l’USC, en introduction d’une conférence de presse en visioconférence ce 16 mars.
Organisée à la veille d’une nouvelle réunion avec le cabinet d’Alain Griset, ministre délégué chargé des Petites et Moyennes Entreprises, elle a pour but de livrer des chiffres éloquents sur le choc économique que traversent depuis un an les commerces d’articles de sports en montagne et les fabricants de ski.
Un milliard d’euros de pertes pour la filière sport
Depuis mi-mars 2020, l’USC a calculé que la filière a perdu 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, soit l’équivalent d’une année complète d’exploitation. « Un commerce d’articles de sport en montagne est en urgence absolue », indique Julien Gauthier, vice-président de l’USC, par ailleurs directeur Développement de Skiset. « A ce jour, 28% d’entre eux ont consommé plus de la moitié de leur PGE, 31% des entreprises ont consommé plus de la moitié de leurs fonds propres et le fonds de solidarité n’a couvert que 5% de leur chiffre d’affaires ».
L’USC demande de pouvoir bénéficier du fonds de solidarité jusqu’en décembre 2021, idem l’activité partielle pour les salariés permanents, enfin, exonération des cotisations sociales et des aides au paiement pour les commerces de station.
L’USC compte dans ses membres une vingtaine de marques de matériel de sport, représentant 90% du marché des sports de montagne. Eux aussi demandent les mêmes mesures d’urgence. « Notre chiffre d’affaires est en recul de plus de 30% par rapport à une saison 2019-2020 déjà raccourcie et les aides que nous avons touchées à ce jour sont inférieures à 1% de notre chiffre d’affaires », détaille Morgan Redouin, président de la commission montagne de l’USC et directeur des sports d’hiver chez Head Sports. « Et le pire est encore à venir. Nos projections nous font entrevoir une activité en baisse de 70% car les stocks dans les magasins de plaine sont importants et les loueurs en station dans l’incapacité d’investissement pour la saison prochaine ».
Des usines françaises quasi à l’arrêt
Bruno Cercley, pdg du groupe Rossignol, est très remonté, face à la situation de son marché domestique qui emploie 50% des effectifs du groupe. « Il y a de la bonne volonté, nous faisons de très bonnes réunions avec les services de l’État, mais la réalité c’est que nous n’aurons que très peu de commandes en avant-saison pour l’hiver prochain, alors que nous avons trois usines en France à faire tourner ». Des usines qui tournent au ralenti.
Bruno Cercley prévoit une perte d’exploitation de 20 millions d’euros sur deux saisons (2020 et 2021). « Or nous n’aurons que 2M€ d’aides liées à l’activité partielle en 2020 et pour l’instant, et toujours rien du côté du fonds de solidarité », déplore le pdg du leader mondial du marché du ski, dont le chiffre d’affaires ski s’élevait à près de 60 millions d’euros en 2019. Il est tombé à 26M€ en 2020 et ne devrait pas dépasser 18M€ selon les projections pour cette année. Pour lui la tempête arrive, et il faut agir à la hauteur des enjeux économiques et sociaux d’une filière jusqu’ici florissante, innovante et pourvoyeuse d’emplois en France.