5 questions à Emmanuel Delafon, pdg des Liqueurs Chartreuse

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La 7e distillerie des Chartreux est désormais officiellement en activité à Aiguenoire, hameau de la commune d’Entre-Deux-Guiers. Pour les liqueurs Chartreuse, leur retour emblématique dans ce massif des Préalpes façonné par les moines, s’inscrit dans le projet Grand Avenir, initié en 2015. Il trace la feuille de route pour les 200 prochaines années de la maison quadricentenaire. Les explications d’Emmanuel Delafon, leur dirigeant depuis 2013.

Actumontagne : Le 30 août dernier, vous avez inauguré le site d’Aiguenoire en présence de plus d’un millier d’invités, ainsi que de Dom Dysmas de Lassus, le prieur général de la Grande Chartreuse, de Dom Benoit et de frère Jean-Jacques, les deux moines distillateurs. L’aboutissement d’une étape majeure pour la maison que vous dirigez ?
Emmanuel Delafon : Je pense qu’au niveau de l’émotion et de la symbolique, nous avons sans doute vécu l’un des moments les plus forts et les plus impressionnants ce 30 août 2018. Mais l’émotion a été au rendez-vous pendant toute une semaine à Aiguenoire, où nous avons rencontré différents publics (commerciaux du monde entier, chefs, barmen, personnel, grand public…). Le 31 août, notamment, nous avons passé une journée avec les employés et leurs familles. Nous étions 350 et je dois dire que l’émotion était aussi à son comble, car nous avions tous conscience d’avoir passé une grande étape, mais aussi parce que Grand Avenir, c’est surtout demain. Nous avons encore beaucoup de choses à vivre et de « risques » à prendre. Ce n’est effectivement pas neutre financièrement pour une petite PME comme la nôtre de poursuivre sa mutation, mais nous allons le faire parce que grâce aux moines, nous avons le temps long. Aujourd’hui, nous sommes animés par une énorme fierté et une grande humilité parce que tout cela ne nous appartient pas.

Site d’Aiguenoire, la distillerie et la cave ©Stéphane Couchet

Actumontagne : Le site de production d’Aiguenoire, dans lequel déjà 10 millions d’euros ont été investis, accueille pour l’instant la distillation et la cave de vieillissement qui ne pouvaient plus rester à Voiron en raison du renforcement de la réglementation dans votre secteur d’activité. Quelle est l’étape suivante dans ce site dédié à la production ?
Emmanuel Delafon : Dans le premier des deux nouveaux bâtiments construits à Aiguenoire et qui font face à l’ancienne grange des Chartreux (Ndlr : le mas de Lespinasse) ont pris place les alambics et les cuves pour la distillation et la macération des plantes. Juste à côté, dans le second bâtiment, se tient la cave d’une capacité de stockage de deux millions de litres. De nombreux éléments moins visibles ont aussi été apportés, indispensables pour démarrer un site aux normes d’une distillerie du XXIe, voire du XXIIe siècle sur certains aspects : réseaux, bassins de rétention… Il reste à compléter notre site de production avec l’embouteillage et l’expédition opérationnels en 2020.

Dom Benoît à côté de l »un des alambics en cuivre fabriqué spécialement pour Aiguenoire ©Stéphane Couchet

Actumontagne : Vous aviez dit au lancement du projet Grand Avenir que les liqueurs Chartreuse resteraient à Voiron. Et vous le confirmez à nouveau. Quelle va donc être la vocation du site voironnais ?
Emmanuel Delafon : Je vous rappelle que le projet Grand Avenir est une vision à long terme et un projet de transformation, celui de passer de un à deux sites, avec chacun sa vocation.  Nos bureaux administratifs et commerciaux demeurent bien sûr à Voiron où nous allons revoir notre centre de visite. Nous sommes très fiers de rester dans cette ville où notre maison est installée depuis la fin du XIXe siècle. D’une part parce que nous sommes très bien placés, à un carrefour majeur vers les stations de ski qui restent et de loin, nos premiers prescripteurs. Ensuite, parce que nous sentons qu’il y a une envie très forte au niveau de la ville et du Pays voironnais de conserver animée la plus longue cave (164 mètres) à liqueur du monde. Avec les services de la Préfecture de l’Isère, nous allons voir comment nous pouvons garder sur place des foudres de liqueurs. Notre proximité avec le futur établissement bistronomique de la famille Chavant dans la maison Mille-Pas, nous permet d’envisager de créer des ateliers culinaires autour de la Chartreuse, avec la participation de nos formidables ambassadeurs. Nous voulons devenir le pilier fort du Voironnais et même de la Région, pour la gastronomie et le spiritourisme, en partenariat avec d’autres acteurs publics et privés du territoire, d’ici à l’horizon 2025. Tout cela va être phasé en fonction des financements, mais il y aura sûrement des réalisations dès 2020, avec le soutien du Département et de la Région.

Le site de Voiron va étoffer sa vocation touristique ©Stéphane Couchet

Actumontagne : Quid de la boutique et de la traditionnelle visite guidée des caves de Voiron avec laquelle elles ont drainé plus de trois millions de visiteurs depuis 1968 ?
Emmanuel Delafon : La boutique est effectivement un lieu majeur pour les liqueurs. Beaucoup de personnes ne viennent aux caves de Voiron que pour elle. Nous allons proposer quelque chose de différent. À Tarragone, où la production avait été transférée en 1903 suite à l’expulsion des moines du monastère de la Grande Chartreuse, de nombreuses bouteilles spéciales sont vendues. Nous allons faire la même chose à Voiron avec des bouteilles vendues qu’ici. Côté visite, nous allons repenser la visite classique une fois que l’embouteillage et l’expédition auront libéré les lieux, mais déjà nous avons introduit quelques éléments nouveaux notables ces dernières années. Nous réfléchissons à une expérience des caves plus qualitative et beaucoup plus complète qui n’aura plus rien à voir avec la visite classique créée en 1968. À Voiron, nous sommes clairement en mutation, avec une vision et une ambition fortes, mais je ne peux pas vous dire la temporalité (ndlr : ni le budget à ce jour). Sachez que nous ferons aussi bien qu’à Aiguenoire !

Les barmens qui maîtrisent bien l’art de la mixologie, sont très inspirés par la Chartreuse ©Actumontagne

Actumontagne : La consommation de la liqueur et notamment de la Chartreuse, est-elle toujours tendance ?
Emmanuel Delafon : Je ne peux pas répondre 100% positivement à cette question car mes prédécesseurs ont connu des années assez difficiles commercialement, notamment dans les années 80, 90. En ce moment, nous vivons une période plus favorable qui nous permet d’investir pour envisager l’avenir sereinement. A côté des moines qui créent ces liqueurs exceptionnelles, notre savoir-faire est de les maintenir dans leur temps, et donc d’investir, pour qu’elles ne deviennent ni un produit de luxe inaccessible, ni un produit poussiéreux. Nos ambassadeurs, ceux que j’appelle les amis de la Chartreuse, c’est à dire les barmen, les sommeliers, les restaurateurs, les chefs étoilés, les chocolatiers, les glaciers ou encore les vignerons, jouent un rôle considérable pour la notoriété et l’attractivité des liqueurs des Pères Chartreux. Ce sont eux qui en parlent le mieux !

Propos recueillis par Sophie Chanaron

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