L’expert suisse Laurent Vanat a dévoilé cette semaine, lors d’une visio-conférence organisée en partenariat avec le salon Mountain Planet (dont la prochaine édition se déroulera du 16 au 18 avril 2024 à Alpexpo Grenoble), les grandes lignes de son 15e rapport international du tourisme de neige et de montagne, portant sur l’hiver 2021-2022. Ses principales conclusions : une offre de ski à travers le monde qui reste stable, une fréquentation globale (en journées-skieurs) qui retrouve des niveaux d’avant-Covid (avec toutefois de grosses disparités selon les pays), des motifs d’espoirs mais aussi de nombreux défis à relever.
Une offre assez stable
On dénombre actuellement 5827 stations de ski dans 68 pays, pour un total de 24 680 remontées mécaniques, « un chiffre qui baisse – mais une capacité de skieurs transportés qui augmente – parce que la tendance est plutôt de remplacer deux téléskis par un télésiège débrayable six places », commente Laurent Vanat. Mais sur ces 5827 « stations », on en dénombre 4000 « très petites » (4 remontées mécaniques ou moins) et 1082 « petites » (5 remontées ou un peu plus, ces stations ne dépassant pas 100 000 journées-skieurs par an). « Le vrai monde de l’industrie du ski – c’est-à-dire les stations internationales – se compose de 693 grandes stations (qui font entre 100 000 et 1 million de journées-skieurs par an) et 52 stations qui dépassent le million de journées-skieurs chaque hiver. »
Une fréquentation (presque) de retour à un niveau pré-Covid
Après deux hivers en berne en raison de la crise sanitaire – et plus particulièrement l’hiver 2020-21 avec seulement 201 millions de journées-skieurs, à cause de la fermeture des stations dans la plupart des pays d’Europe occidentale sauf la Suisse – l’hiver 2021-22 a enregistré 371 millions journées-skieurs dans le monde, un chiffre qui se situe dans la moyenne de ces vingt dernières années. Avec toutefois des disparités de fréquentation selon les pays. « Les Etats-Unis, la Chine, la Suisse, la Russie, le Canada, la Suède et la France ont été les gagnants de 2021-22 – avec notamment une hausse de 2% pour la France par rapport à la moyenne quinquennale pré-Covid – alors que l’Autriche, le Japon, l’Italie, l’Allemagne et la Corée du Sud ont vu leur fréquentation chuter, toujours par rapport à cette moyenne quinquennale pré-Covid. Pour l’Autriche, cela s’explique par la perte d’un mois en début d’hiver, lorsque les stations étaient encore fermées à tous dans un premier temps, puis aux étrangers de mi-décembre 2021 jusqu’à début janvier 2022 », note Laurent Vanat. Des pays ont même enregistré des records historiques de fréquentation : Australie, Bosnie, Chine, Etats-Unis, Finlande et Suède.
Des très grandes stations qui cannibalisent le marché
Alors qu’elles représentent 87 % des 5827 stations recensées dans le monde, les petites et moyennes stations ne réalisent que 26 % de la fréquentation mondiale. Celle-ci est l’apanage des grandes (53 % du total des journées-skieurs) et des très grandes stations (21 %). Laurent Vanat observe aussi que 16 % de cette fréquentation mondiale est réalisée par les 7 plus grands opérateurs mondiaux. Ce top 7 se compose de quatre acteurs américains (Vail Resorts, numéro 1 mondial tant pour le nombre de stations détenues que de journées-skieurs, Alterra Mountain Compagny, Powdr Corporation et Boyne Resorts), deux français (la Compagnie des Alpes, numéro 2 mondiale sur les journées skieurs, un peu moins de 15 millions quand Vail Resorts les dépasse légèrement, et Savoie Stations Ingénierie Touristique, numéro 4 mondiale sur les journées-skieurs, « un cas un peu particulier car elle est seulement propriétaire de stations, sans en être l’exploitant ») et le japonais MacEarth Group. Les autres groupes (hors top 7) représentent 10 % de la fréquentation mondiale, et les stations individuelles 74 %.
Cette concentration de stations entre les mains de quelques grands acteurs – notamment américains – est-elle vouée à s’étendre, d’autant plus dans un contexte de réchauffement climatique ? L’expert suisse ne le pense pas : « Dans les Alpes, on a eu par le passé des fusions de sociétés de remontées mécaniques de stations connexes. Mais il y a déjà beaucoup moins de synergies possibles lorsque les domaines skiables ne sont pas reliés, rendant les fusions ou concentrations moins intéressantes. Sans compter que le business model est très différent entre les Etats-Unis et l’Europe. J’imagine que les Américains s’intéressent aux stations françaises, mais ils ne doivent pas savoir comment rentrer, surtout avec le système très particulier des délégations de service public. » Notons toutefois que Vail Resorts, après Whistler-Blackcomb (Canada) et des stations australiennes, a investi l’hiver dernier 144 millions d’euros pour une prise de participation majoritaire dans la station suisse d’Andermatt-Sedrun.
Quels défis pour les stations ?
Ils sont de plusieurs ordres. Les stations doivent bien sûr faire face aux aléas climatiques, « mais elles les vivent depuis longtemps, et c’est presque le défi le mieux apprivoisé », selon l’expert suisse. Ce dernier cite aussi des nouveaux défis comme les risques énergétiques (pénurie d’électricité et/ou augmentation des coûts avec une facture pouvant être multipliée par quatre ou cinq, voire plus), les pandémies, le ski bashing (« de pire en pire, ça devient une grande mode, à peu près partout en Europe »), les guerres (celle en Ukraine ayant entraîné le blocage de la clientèle russe, « même si celle-ci n’a jamais été très importante en volume en France ») ou les sabotages (deux stations avaient été détruites par des fanatiques islamiques en Afghanistan et au Pakistan il y a quelques années ; alors qu’en Europe le sabotage se limite pour l’instant à la dégradation de systèmes d’enneigement, comme cela s’est produit à la Clusaz ou à Villars, en Suisse).
Il convient d’ajouter à cette liste le défi économique (assurer la viabilité), et surtout politique, « avec l’obligation de naviguer dans un monde d’incohérence et d’hostilité. Il y a de plus en plus une vision binaire : le ski, c’est bien ou c’est mal . En Suisse, on va pointer du doigt les remontées mécaniques qui consomment 0,3 % de l’électricité annuelle du pays, alors qu’on tolère très bien une arme de destruction massive : la voiture (laquelle est responsable de 40 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre et a tué 241 personnes et en a blessé 4002 autres en 2022 chez nos voisins helvètes ndlr). On assiste à la primauté d’idéologies qui deviennent des dogmes : il faut bazarder les stations de ski, un point c’est tout. On a certaines décisions qui sont prises sur la base de fausses informations répétées assez souvent pour devenir des vérités, notamment à l’aide d’instruments comme ChatGPT. »
La diversification et la transition quatre saisons : oui, mais…
La transition vers un modèle quatre saisons est assurément « l’un des très grands défis que doivent relever les très grandes stations, dont l’équilibre économique est quasiment acquis ». Mais cette transition – via notamment une diversification des activités proposées en station, « tant qu’à faire, il faut essayer que ce qu’on rajoute pour l’hiver puisse servir aussi le reste de l’année » – n’est pas si simple, pour deux raisons principales. La première est une motivation inégale des différents acteurs concernés, « surtout dans nos stations atomisées en Europe. Certains restaurateurs ou hôteliers se contentent parfaitement de ne faire que la saison d’hiver en station, parce qu’ils ont une activité ailleurs le reste de l’année. Or il faut que tout le monde tire dans le même sens si on veut avoir un modèle vertueux. »
La deuxième raison tient dans les volumes incomparables entre le ski et les autres activités. « On peut mettre 20 000 personnes sur des pistes de ski, contre à peine 100 à 300 dans les autres activités qu’on trouve en station comme la piscine. Il faut donc rajouter toute une série d’activités si on veut aller vers cette diversification. Mais il est certain que la transition vers le quatre saisons ne pourra se faire que de manière très progressive. » Toujours plein de bon sens, Laurent Vanat tacle les tenants de la digitalisation à tout va. « On pense améliorer l’expérience client avec la digitalisation. C’est bien, c’est pratique, on peut faire des tas de choses avec les outils numériques. Mais il y a toujours une dimension physique importante, le client est présent dans la station. Certains petits aspects doivent être soignés, comme par exemple le chargement et déchargement des skis dans une télécabine par le personnel des remontées – qui se fait déjà en Asie ou en Amérique, beaucoup plus rarement en Europe – afin d’améliorer cette expérience client. »
La montée en gamme de l’hébergement : inexorable pour survivre ?
Laurent Vanat estime qu’il faut relativiser les choses. « Il y a un problème français, de toutes ces résidences de tourisme qui ont été construites dans les années 1960-70, et qui ne sont plus aux standards de ce que les gens veulent aujourd’hui. Même dans un HLM on n’a pas une salle de bain comme celle qu’on trouve dans les résidences de tourisme des années 1960. Les gens, en vacances, ne veulent pas avoir une salle de bains plus moche que celle qu’ils ont chez eux. On est obligé, simplement, de remonter le niveau des hébergements en France. » Sans nécessairement devoir tomber dans le luxe, Laurent Vanat note qu’il y a « une partie du marché qui a les moyens, et qui est demandeur de loger confortablement. Et il est certain qu’il y a une concurrence entre les pays. Si vous allez skier en Autriche, vous logez dans un hôtel quatre étoiles qui a été sans doute rénové pendant l’été et se trouve dans un état tip top. Donc si on veut lutter avec les concurrents étrangers, il faut avoir des produits en termes d’hébergements qui soient à niveau. C’est bien joli d’avoir des belles pistes et des super domaines skiables, mais les gens passent de plus en plus de temps dans leur hébergement. Si on n’a pas un niveau qui correspond au marché, on perd des parts de marché. »
Martin Léger