Cour des Comptes Féclaz

La Cour des comptes pointe la maladaptation des stations de ski au réchauffement climatique

Après avoir analysé les délégations de service public en 2018 et les aides liées à la fermeture administrative liée au COVID en 2022, la Cour des comptes vient de publier un rapport sur les stations de ski et le réchauffement climatique. 147 pages posant le diagnostic d’un modèle “qui s’essouffle”, de politiques d’adaptation “pas à la hauteur” et proposant, tout de même, des pistes d’action. Car si la Cour des comptes épingle souvent les stations de ski, c’est que, du fait de la loi montagne de 1985, la gestion des domaines skiables est du domaine public. D’autres secteurs pourraient aussi faire l’objet de recommandations, mais ils ne sont pas du ressort de la Cour des comptes. Du côté des associations d’élus, le rapport passe mal…

Que dit la Cour des comptes en 2024 ?

Selon la Cour des comptes, le modèle économique des stations de ski s’essouffle depuis les années 2000, notamment à cause d’un parc immobilier de plus en plus inadapté. Depuis 2010, le nombre de journées skieurs serait décroissant selon la Cour des comptes, fragilisant encore plus un modèle déjà rendu critique par un enneigement de plus en plus aléatoire. À noter tout de même que la courbe de la Cour des comptes intègre dans son calcul la saison tronquée par le confinement de mars 2020. Mais quoi qu’il en soit, le fait est que les journées skieur ne sont pas en hausse.

Si les stations ont pris la mesure du problème (les climatosceptiques ont disparu en altitude), les mesures d’adaptation (neige artificielle et diversification) ne sont pas à la hauteur pour la Cour des comptes. Ainsi, “la production de neige permet de fiabiliser l’enneigement à court terme. Mais, elle ne constitue qu’une protection relative et transitoire contre les effets du changement climatique. Son coût est en effet important et son efficacité tend à se réduire avec la hausse des températures”. On le voit ces deux derniers hivers. Quand il fait 12° en altitude, la neige artificielle permet de skier un peu… mais ça reste limité !

La Cour des comptes pointe également des investissements en production de neige déconnectés des prévisions climatiques. Sur ce point, les stations ont pourtant fait des efforts avec une large adhésion au projet Climsow initié par Météo France. Ce dernier fournit des indications de vulnérabilité aux stations jusqu’en 2050.

Souvent, la Cour des comptes pointe une maladaptation, plus qu’une adaptation au changement climatique. Les stations investiraient sans plan d’affaires et sans coordination territoriale, y compris dans la diversification. La mobilisation d’importants moyens publics en faveur de la neige artificielle se fait au détriment de ceux liés à la diversification. Ni l’État ni les régions n’ont aujourd’hui orienté une planification écologique pour le secteur ces dernières années. Les deux régions alpines ont même “conforté les stratégies de renforcement de la production de neige sans tenir compte des perspectives du changement climatique”.

À lire également : notre guide des stations de ski des Alpes sur Alti-Mag.

Que propose la Cour des comptes ?

La Cour des comptes insiste d’abord sur l’enjeu de territorialiser les problématiques touristiques. Des plans d’adaptation déclinant les plans massifs de la loi résilience devraient être établis à l’échelle intercommunale. Cette préconisation est cohérente avec le passage de la compétence tourisme à l’échelon intercommunal, mais aussi avec l’élaboration des SCOT à l’échelle des vallées. La cour recommande d’ailleurs au ministère de l’Intérieur de “mettre en place une gouvernance des stations de montagne ne relevant plus du seul échelon communal”. Sur ce point, pourtant, du travail a déjà été fait et la programmation tend à se faire aujourd’hui à l’échelon intercommunal, même si l’esprit de clocher n’a pas disparu. Certains territoires, comme la Haute-Maurienne, le Val d’Arly ou l’Ubaye, travaillent déjà bien sur le sujet. Il s’agira un jour par contre de spécialiser les sites et d’en fermer certains… Décision plus difficile !

Pour les petites et moyennes stations, les fonds publics représentent 28% à 23% du chiffre d’affaires annuel selon la Cour. Ce chiffre ne pouvant qu’augmenter, il prive aussi les collectivités de moyens pour développer un tourisme 4 saisons. La Cour des comptes fait deux propositions sur ce sujet :

  • Conditionner tout soutien public à l’investissement dans les stations au contenu des plans d’adaptation au changement climatique. Autrement dit : pas de feuille de route, pas d’aides publiques.
  • Mettre en place “une solidarité financière entre collectivités” avec “un fonds d’adaptation au changement climatique destiné à financer les actions de diversification et de déconstruction des installations obsolètes, alimenté par la taxe locale sur les remontées mécaniques“.

La Cour des comptes a également établi des recommandations ciblées pour le ministère de la transition écologique. Elle lui recommande la mise en place d’un observatoire national regroupant toutes les données de vulnérabilité en montagne accessibles à tous les acteurs locaux. Elle recommande également de conditionner les autorisations de prélèvements d’eau en fonction des prospectives climatiques.

Que répondent les principaux concernés ?

Dans un communiqué commun, l’ANEM (les élus de montagne), l’ANMSM (les élus de stations) et Domaines Skiables de France (les entreprises exploitant les remontées mécaniques) expriment leur déception. Ils reprochent à la Cour d’oublier les “savoir-faire modernes de travail du manteau neigeux et qui améliorent considérablement la tenue des pistes de ski“, “l’engouement persistant des clientèles pour les sports de neige” et les nombreux engagements déjà pris, dont la trajectoire de neutralité carbone des domaines skiables. Les acteurs reprochent également un échantillon peu représentatif des 320 stations de ski françaises. Selon eux, la réalité de terrain s’oppose à une vision d’administratifs éloignés du territoire qui réduirait les stations à une économie en crise. Tout en défendant le ski, qu’ils jugent attaqué, ils mettent également en avant les avancées déjà nombreuses des stations de ski dans la diversification.

Mais pourquoi tant de haine ?

La Cour des comptes est un organe indépendant dont le but est d’établir des préconisations sur la bonne gestion des comptes publics. Dans chacun de ses rapports, elle tente de prendre de la distance et d’évaluer une activité au regard de cette bonne gestion. Elle permet aux décideurs locaux ou nationaux d’avoir un regard différent, mais aussi d’informer le contribuable sur l’utilisation des deniers de l’État.

Ses rapports sont émis de manière indépendante, discutés par un collège de plusieurs magistrats. Pour ce rapport, les rédacteurs ont auditionné plusieurs personnalités qualifiées tels que les représentants de l’ANEM, l’ANMSM, DSF, cités plus haut, mais aussi de la compagnie des Alpes, de Mountain Riders, Mountain Wilderness, les ministères précédemment cités, un professeur émérite de géographie (Rémy Knafou) et Jean-Marc Jancovici. En amont de sa publication, le rapport est envoyé aux principaux concernés pour relecture.

La Cour des comptes n’a donc pas de haine envers les stations, mais regarde une dépense publique et sa pertinence pour le territoire à court et moyen terme. Ses rapports, lus et relus avant publication, sont d’ailleurs souvent circonstanciés. Il est possible qu’elle ne maitrise pas les tenants et aboutissants de l’économie du ski ni l’actualité de la recherche en matière climatique (c’est pourquoi elle mène des auditions), mais ça n’enlève pas la valeur de ce regard extérieur rare et précieux !

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