Un peu moins d’une semaine avant les pros, quelque 16 000 cyclistes amateurs se sont lancés à l’assaut de l’Etape du Tour, dimanche 9 juillet. Cette 31e édition se disputait entre Annemasse et Morzine, sur un parcours de 157 km et 4100 m de dénivelé positif via les cols de Saxel (4,3 km à 4,6 %), de Cou (7 km à 7,7 %), du Feu (5,9 km à 7,9 %), de Jambaz (6,8 km à 3,8 %, non répertorié au classement de la montagne), de la Ramaz (13,9 km à 7,1 %) et de Joux-Plane (11,6 km à 8,5 %). Récit de cette étape vue de l’intérieur, avec l’un de nos journalistes.
6h50. Dans un peu plus d’un quart d’heure, je prendrai le départ de ma huitième Etape du Tour. Est-ce la force de l’habitude ou le fait que la musique diffusée dans les hauts-parleurs soit un peu moins « agressive » que les années précédentes, l’excitation n’est pas encore à son maximum. Pas besoin de me mettre en surchauffe tout de suite, les températures caniculaires annoncées s’en chargeront bien assez tôt…
7h07. Voilà, c’est parti ! A raison de 1000 coureurs par sas – il y en a 16, avec des départs échelonnés toutes les 7 minutes 30 secondes – ça en fait du monde sur la route ! Encore plus que sur une cyclosportive « classique », je redouble de concentration afin d’éviter les pièges inhérents à un début de course. On a beau évoluer sur une route totalement fermée à la circulation sur l’intégralité du parcours – c’est la seule cyclosportive française à proposer ce privilège – les pièges sont potentiellement nombreux sur un début d’étape en ville : dos d’âne, terre-pleins centraux,etc. Mais pas de nids-de-poule, le bitume ayant été refait récemment, comme d’ailleurs la quasi-totalité des routes empruntées par cette étape. Merci le Tour de France !
Total régal en descente
7h56. Je suis à quelques encablures du sommet du col de Saxel, première difficulté du jour, bien calé dans la roue d’un concurrent belge qui imprime un tempo idéal : pas trop rapide afin d’éviter de se cramer pour la suite, mais suffisamment par rapport à mes objectifs d’enfin finir dans le top 1000 de cette mythique cyclosportive (après avoir terminé entre la 1200e et la 1600e places lors de mes trois participations précédentes en 2018, 2019 et 2022). Autant dire que jusqu’ici, tout va bien, d’autant que la température n’est encore que de 17 degrés, idéale pour rouler.
8h50. La descente en direction du pied du col du Feu est un régal : un poil technique mais pas trop, avec une pente modérée et sur un véritable billard. Quel bonheur de pouvoir, grâce aux routes fermées, choisir ses trajectoires sans la peur de percuter une voiture qui coupe les virages ! C’est incontestablement l’une des raisons majeures qui me pousse à m’aligner chaque année sur l’Etape du Tour. Les jolis points de vue sur le lac Léman et la Vallée Verte ajoutent encore au plaisir du moment.
9h40. « Vous m’avez vraiment fait mal ! », lance, dans un sourire, un concurrent en maillot vert à mon adresse et à celle d’un troisième larron, avec qui j’ai enchaîné les gros relais pendant cinq bonnes minutes, afin que nous revenions sur un peloton d’une vingtaine de coureurs dans la montée du col de Jambaz. C’est tout le dilemme dans ce genre de situation : en garder un peu sous la pédale pour la suite, ou faire un effort court mais intense, qui permet ensuite de gagner du temps (et de l’énergie !) grâce à l’effet d’aspiration, indéniable dans un col aussi roulant que celui-ci.
Une chaudière… en panne ?
10h30. Je sens que je commence à payer les efforts consentis jusqu’à présent. Logique, après avoir déjà parcouru un peu plus de 90 km (et 2000 m de dénivelé positif) à 29 km/h de moyenne. Afin de ne pas trop me focaliser sur les (trop nombreux) kilomètres restant jusqu’au col de la Ramaz, dont j’entame l’ascension, je regarde les dossards des concurrents que je double, sur lesquels figure le drapeau de leur pays (il y avait 92 nationalités représentées et 30 % de concurrents étrangers), et leur prénom… ou leur surnom. L’un deux me fait beaucoup rire : « la chaudière aux cuissots de feu ». Au vu de son rythme assez laborieux, j’en déduis qu’il a dû oublier quelques injections ce matin !
11h10. Etouffé par la chaleur – mon compteur affiche 33°C – je choisis de faire une pause de deux minutes sous le premier paravalanche situé à un peu plus d’un kilomètre de Sommand, histoire de profiter d’un petit répit à la fraîche. Je regrette amèrement mon erreur stratégique d’il y a quelques minutes. Sachant que j’allais de toute façon devoir m’arrêter au ravitaillement installé au sommet du col de la Ramaz, j’ai préféré ne pas perdre de temps à remplir mes bidons à un point d’eau placé au bout de 2 km de montée. Du coup, j’ai gardé le peu d’eau qu’il me restait pour boire, sans pouvoir m’asperger la tête ou la nuque pour éviter la surchauffe. Heureusement, à Sommand, un couple de spectateurs en camping-car propose aux coureurs de les ravitailler et/ou les mouiller avec une eau bien fraîche. Je ne me fais pas prier pour profiter de l’aubaine ! La fin de la montée sur la Ramaz est ainsi moins compliquée, d’autant que ces derniers kilomètres sont moins raides que les précédents. Je peux vraiment profiter du paysage, dans ce superbe cirque qui abrite les pistes de ski l’hiver. La bascule sur Praz-de-Lys, avec le mont Blanc qui apparaît en majesté, est incontestablement l’un des moments forts de cette étape.
Affalé dans le fossé
12h20. Bienvenue en enfer ! Les premiers hectomètres de la montée de Joux-Plane, qui oscillent entre 10 et 13 %, sont un calvaire dans cette fournaise. J’ai beau eu m’arrêter plusieurs minutes au ravitaillement du col de la Ramaz pour ingurgiter trois pêches de vignes, une tranche de cake aux lardons et au beaufort, une part de marbré au chocolat, du saucisson et des chips (en plus des gels énergétiques, pâtes de fruits et compotes de pomme avalés en roulant depuis le début de la course), le réservoir est vide. Plus rien dans les cannes ! Je suis collé, comme on dit dans le jargon cycliste. Impossible de dépasser les 8 ou 9 km/h, dans des pentes que je suis capable, « en temps normal » de grimper entre 13 et 15. Cette fois-ci, j’ai pris la peine de remplir mes bidons à Samoëns, au pied de la montée… et je ne manque pas une occasion de me faire asperger la nuque par les nombreux spectateurs qui le proposent tout au long de cette montée. Mais celle-ci va être loooongue.
Oubliés les rêves de top 1000, je vais déjà tâcher de finir. J’opte pour la stratégie du « je m’arrête à peu près tous les 1,5 km dès que je vois un coin d’herbe accueillant à l’ombre ». Sauf que parfois, il n’y a pas vraiment d’endroit propice à un arrêt. Pas grave, le mini-fossé à droite de la route fera l’affaire… Je dois vraiment faire peine à voir, car plusieurs participants me demandent si je n’ai pas besoin d’appeler un médecin. Un autre cycliste dans un état aussi pitoyable que le mien me rejoint bientôt dans ce fossé.
13h40. Remonté sur le vélo, je maudis la personne qui a écrit les indications sur les bornes kilométriques pensées pour les cyclistes sur le bord des routes des grands cols de Savoie ou de Haute-Savoie. Alors que le pourcentage moyen du dernier kilomètre de la montée est annoncé à 2 % (et le précédent à 5 %), la pente ne descend jamais sous les 8 %. Les nombreux encouragements des spectateurs m’aident à passer outre. J’aperçois enfin la ligne d’arrivée. Une fois franchie, à 13h45, c’est la délivrance ! Mon classement final est un peu en-deçà de mes espérances (1567e sur 11647 « finishers » en 6h36, à 22 km/h de moyenne, à vingt minutes de la 1000e place… et à 2h05 du vainqueur) mais qu’importe ! Affalé dans l’herbe au bord du petit lac situé dans le prolongement du col de Joux-Plane, j’observe une canne caqueter avec véhémence pour inciter ses canetons à la suivre, visiblement inquiète à la vue d’un gros labrador blanc qui passait par là…
Martin Léger, dossard 1280
Photo de une : © ASO /Morgan Bove