Le Musée de l’Ancien Évêché, à Grenoble, continue d’explorer les trésors de la photographie régionale. Les murs du palais épiscopal révèlent à travers la nouvelle exposition temporaire, un fonds photographique de premier plan. Datant de la fin du 19e siècle, il est arrivé miraculeusement, ou presque, jusqu’à nous ! Et de l’avis des spécialistes, préfigure la photographie humaniste. A voir jusqu’au 29 mai.
C’est à la vigilance et à l’œil de quelques uns que l’on doit la présentation des 110 photographies qui composent l’exposition Le spectacle des rues et des chemins. Joseph Apprin. Photographies (1890-1908), au Musée de l’Ancien Évêché. Elles sont issues d’un fonds photographique inédit de six cent quarante négatifs sur plaque de verre. Propriété de notre confrère Jean-Louis Roux, il offre des vues de Grenoble et de l’Isère, prises au tournant du 20e siècle. Avant de parvenir jusqu’à lui, elles dormaient dans la cave d’une maison de famille en Savoie. A la faveur d’un déménagement, elles sont d’abord cédées à un marchand de Montreuil, leur évitant probablement de finir à la déchetterie du coin !
Des images vivantes !
«Connaissant mon intérêt pour la photographie régionale, ce marchand m’a contacté pour savoir si j’étais preneur de ces négatifs sur plaques de verre, mais dont l’auteur était inconnu», raconte le journaliste et collectionneur isérois. Lorsqu’il a l’opportunité d’en regarder quelques uns en transparence, il comprend vite qu’il est en présence d’instantanés précieux. «Non pas pour leurs qualités intrinsèques, mais pour leur rupture avec le style académique de l’époque, focalisé sur l’esthétique des paysages et exemptes de présence humaine», souligne Jean-Louis Roux. «Ce photographe-amateur inconnu, contrairement à ses homologues, s’est plu à immortaliser le quotidien qui l’entourait, en bas de la rue à Grenoble, ou au détour des chemins alentours ou de l’Oisans». Il a saisi au vol, ici la baignade d’un groupe d’enfants dans le Drac, l’extraction des graviers dans la rivière, là encore des travailleurs participant à la construction du pont de la Porte-de-France ou des Grenoblois croisés dans le Jardin de ville enneigé. Plutôt collectionneur de photographies de la période du Second Empire, Jean-Louis Roux fait tout de même l’acquisition de ces négatifs, pensant trouver l’occasion de les exploiter un jour.
En parlant de ce fonds anonyme à Isabelle Lazier, il pique la curiosité de la conservatrice du Musée de l’Ancien Évêché. Depuis 2009 et l’exposition Couleur Sépia, le musée grenoblois s’attache à valoriser la photographie régionale. L’équipe fait donc réaliser des pré-tirages et étudie plusieurs plaques de verre. Elle aboutit à la conclusion que ce fonds photographique homogène, relève véritablement de l’œuvre et constitue aussi un précieux témoignage sur l’Isère et Grenoble au début du 20e siècle. Notamment avec des photographies jamais vues de la destruction des remparts de la ville ou des fameux radeaux de troncs d’arbres descendant l’Isère à destination des chantiers navals méditerranéens. De quoi alimenter une belle exposition. Pour tirer le meilleur des images, le musée fait appel au photographe d’art Agne (Jean-Luc Aufradet). Il va numériser et retoucher juste ce qu’il faut les 400 plaques de verre sélectionnées.
Un auteur émerveillé et curieux
A ce stade de leur travail de préparation, un mystère demeure. Qui est l’auteur de ces instantanés ? Pour Jean-Louis Roux, la question n’est pas fondamentale, trouvant plaisant, voire peut-être même romanesque, de ne pas le savoir, pour laisser libre cours à l’imagination ! Pour l’équipe d’Isabelle Lazier, exposer une œuvre sans connaître son auteur, c’est se priver de nombreuses clés de compréhension. Un jeune historien en stage au musée, Vincent Seban, mène alors l’enquête ! Une mention indiquée sur l’une des boîtes retient son attention : « clichés tirés à Apprin ». Bien vu, Apprin n’est pas une commune, mais un nom propre. Notre étudiant finit par trouver que ce patronyme renvoie à Joseph Apprin (1859-1908), greffier de justice à Grenoble, photographe-amateur, membre de la Société dauphinoise d’amateurs photographes (SDAP). Le notable y est très actif et participe régulièrement aux excursions organisées avec ses confrères. Ses photos sont pourtant quasi-absentes du fonds de la SDAP, conservé à la Bibliothèque municipale de Grenoble. La confirmation que sa production ne correspondait pas aux canons de la photo de la Belle Époque.
Près d’un siècle plus tard, le Musée de l’Ancien Evêché, à travers 110 tirages, salue donc le regard avant-gardiste et sensible du photograhe-amateur grenoblois. Pour Jean-Louix Roux et Isabelle Lazier, il préfigure les photographes humanistes comme Robert Doisneau (à qui le musée a également consacré une exposition en 2012). «Joseph Apprin s’intéresse aux hommes et femmes de la rue, aux scènes de la vie quotidienne, c’est un spectateur émerveillé et curieux», résume notre confrère, relevant toutefois, l’absence ou quasi-absence dans sa production, de photos de trains, de voitures, de cycles, de tramways ou encore d’usines en activité et de leurs ouvriers, alors que Grenoble est en plein changement à cette période. Au-delà des préjugés de classe, ces symboles de la modernité n’inspirent tout simplement pas Joseph Apprin, dont l’empathie va clairement aux paysans et au monde rural.
Sophie Chanaron
Entrée gratuite tous les jours. Visite guidée gratuite le 1er dimanche du mois à 15h. Cycle de conférences. Infos sur www.ancien-eveche-isere.fr
Le catalogue de l’exposition permet d’en savoir davantage sur l’homme et son œuvre 16€. Plusieurs photos éditées en carte postale.