L’exposition temporaire La Neige et l’Architecte, à la Maison des Jeux olympiques d’hiver à Albertville, rappelle l’esprit d’innovation des concepteurs d’une poignée de stations des Savoie. Parmi elles, Les Arcs et Les Karellis, labellisées patrimoine du XXe siècle, modèles de la villégiature en haute altitude. Les explications de l’architecte Jean-François Lyon-Caen, responsable scientifique à l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble, et le témoignage de Guy Rey Millet, architecte-urbaniste au sein du fameux Atelier d’Architecture en montagne, auteur des Karellis.
Actumontagne : En quoi, les créateurs des stations de haute altitude étaient-ils novateurs ?
Jean-François Lyon-Caen : A l’époque, ils sont confrontés à l’installation de citadins dans des lieux de vie nouveaux, aménagés dans un espace naturel hostile à l’homme. Ils répondent de façon contemporaine à un nouvelle question de société, la démocratisation des loisirs. Ils ne sont pas novateurs pour être novateurs. Ces stations ne sont pas nées de lubies d’architecte ! Le programme des Arcs répond à une nouvelle vision de la montagne devant concilier pratique du ski et hébergement de skieurs en altitude, et sans voiture. Les architectes ont dû imaginer un habitat de loisirs collectif, mais respectueux de l’individualité. Ils devaient en même temps apporter des éléments de confort contemporains, tout en respectant un impératif d’économie, de rationalité qu’impose cette nouvelle ambition d’accueillir le plus grand nombre à la montagne. D’où, une compacité des lieux. Aux Arcs, cette contrainte amène les architectes, Charlotte Perriand en tête, à développer des studios, comme des petits refuges perdus à la montagne, même si autour il y en a des milliers, à l’intérieur très fonctionnel et astucieux.
Actumontagne : Ces architectes appréhendent l’espace différemment ?
JFLC : Oui. Ils se sont dit qu’en concentrant cet habitat touristique sans voiture, ils préservaient la terre, la montagne, en ne mitant par le territoire. Leur conception urbanistique est donc rassemblée autour de l’accès au domaine skiable. Tout le « hard » de ce qui fait une ville (équipements, infrastructures routières, stationnements) occupe le minimum d’espace pour garder la montagne ouverte, afin d’y pratiquer à foison le ski, la promenade ou la contemplation. Ces architectes innovent dans la disposition des immeubles pour éviter les vis-à-vis, malgré la densification des programmes. L’occupant est seul face à la montagne. L’objectif de l’architecte est d’offrir ce rapport direct de l’homme à la nature, qui se traduit concrètement par d’importantes surfaces vitrées par exemple. C’est la ville nature.
Actumontagne : Quelle différence notable voyez-vous avec les programmes immobiliers d’aujourd’hui ?
JFLC : Les architectes des Arcs, des Karellis ou d’Avoriaz ont avant tout construit des stations sans voiture. Les opérations immobilières actuelles sont elles toutes connectées à l’automobile. Toutes les résidences sont reliées à une route et disposent d’un parking en sous-sol. Dans les trois stations que j’ai citées, il n’y a pas de voitures sous les résidences, ce qui laisse une grande souplesse, une grande liberté dans la conception des immeubles. En effet, sans rentrer dans les détails techniques, la voiture dimensionne l’architecture.
Propos recueillis par Sophie Chanaron
A noter : L’exposition La Neige et l’Architecte à la Maison des Jeux olympiques d’Albertville présente une soixantaine de photos d’Eric Dessert mettant en valeur l’architecture de six stations des Savoie. A noter que la Maison des JO organise à l’automne un colloque avec certains auteurs de la collection Portraits d’architectes du CAUE 74
La singularité des Karellis
Ouverte en 1975, la station des Karellis a en commun avec Les Arcs, d’avoir été créée par l’Atelier d’architecture en montagne (AAM), déjà à l’origine de Courchevel 1850. C’est Guy Rey-Millet qui est l’architecte principal de ce programme de 3000 lits. Il est né de la volonté de Pierre Lainé, fondateur de l’association Renouveau, et militant du « tourisme pour tous », de démocratiser les sports d’hiver. Son ambition : créer une station de montagne sur le modèle associatif. « Les Karellis sont un modèle unique dans les Alpes françaises d’un tourisme communautaire intégral », explique l’architecte, séduit à l’époque par la dimension sociale de cette station formée de plusieurs villages-vacances indépendants, toujours pimpante 40 ans après ! « La commande de Pierre Lainé aux architectes, c’était, faites des espaces individuels -les chambres- petits, mais développez les salons et les espaces collectifs (nurseries, bibliothèque, salle de concert…). La répartition des mètres carrés était donc très différente de celle de la construction classique : 15m2 par personne, contre 40 ou 50 m² à Val d’Isère par exemple ! On ne pouvait pas se permettre de grandes fantaisies. Néanmoins, Pierre Lainé a toujours eu la volonté de faire travailler les artistes, si bien que dans les bâtiments, nous avons intégré des sculptures. Des éléments qui surprennent un peu les gens. Pierre Lainé tenait à sensibiliser la clientèle à la beauté de la nature, mais aussi à l’art pendant leurs vacances ».
Photos architecture ©Eric Dussert/Région Auvergne Rhône-Alpes. Inventaire général du patrimoine culturel. ADAG