Atout France* et ses partenaires** ont présenté cette semaine aux professionnels du tourisme de la montagne en Isère les principaux enseignements du « Carnet de route de la montagne », un document donnant des pistes pour un développement touristique durable des territoires de montagne. Voici les enseignements généraux, et les implications sur le département de l’Isère.
Les principaux enseignements du Carnet de route de la montagne
De manière générale, la montagne française enregistre une baisse de sa fréquentation en été, et une stagnation en hiver. Elle conserve toutefois son leadership européen en matière de ski : avec 54,32 millions de journées-skieurs vendues en moyenne sur les cinq dernières années (13,6 % du volume mondial), la France se place en deuxième position sur un plan international. Elle est devancée par les Etats-Unis (57,64 millions) mais fait mieux que l’Autriche (51,51 millions).
Toutefois, la France est aujourd’hui loin d’être la destination montagne préférée des Européens. Seuls les Belges nous placent en premier choix, été comme hiver. En hiver, la France n’est même que le 3ème choix des Espagnols, Italiens, Anglais et Néerlandais, et le 5ème choix des Allemands. En été, les montagnes hexagonales sont le 2ème choix des Espagnols, le 3ème choix des Anglais et des Italiens, le 5ème choix des Allemands et Néerlandais. Pour Jean Berthier, délégué montagne d’Atout France, la politique du « tout ski » est l’un des principaux facteurs explicatifs de cette situation : « En France, on part faire du ski. En Autriche, on part en vacances à la montagne », résume-t-il.
En ce qui concerne la clientèle nationale, on constate que la montagne conserve une bonne attractivité. Avec 73 % de Français qui se déclarent attirés par la montagne, elle se place en troisième position, derrière la mer (83 %) et les visites de régions ou pays étrangers (79 %) mais devant les visites de villes (70 %) et la campagne (67 %). Malheureusement, la montagne française peine à transformer cette attractivité en fréquentation, puisque seuls 44% des Français déclarent s’y rendre. Elle est la destination touristique au plus faible taux de transformation, derrière la mer (76%), les régions et villes à l’étranger (58%), les villes en France (56%) et la campagne (56 %). Sans surprise, le Carnet de route relève qu’en quatre ans, la montagne française a perdu 6 millions de nuitées (soit 5 % de sa fréquentation en nuitées).
Le positionnement actuel de la montagne, parfois trop clivant pour certaines catégories de prospects (c’est-à-dire des personnes attirées par la montagne mais qui ne la fréquentent pas), explique en partie cette fréquentation d’érosion. C’est notamment le cas pour les jeunes, aussi bien les enfants, adolescents, que les 15-24 ans et les 25-34 ans), avec une problématique plus marquée l’été que l’hiver. Les seniors aussi ont tendance à se sentir exclus de l’offre touristique proposée à l’heure actuelle par la montagne française, mais avec une distance plus marquée l’hiver que l’été. Les clientèles « populaires » (revenus plus faibles, CSP intermédiaires à faibles) sont aussi touchés par cette désaffection, certes liée à un faible pouvoir d’achat, mais de façon plus importante que pour d’autres destinations.
Le tableau n’est pas complètement noir pour autant. La montagne française dispose de nombreux atouts pour (re)conquérir les foules, notamment une offre touristique variée et dense, la possibilité de travailler sur deux saisons (été et hiver) complémentaires ou encore une identité forte. De plus, elle est en phase avec trois tendances se société majeures : l’autonomie (besoin de s’affirmer en tant qu’individu, rejet de l’autorité, « moi multiples », c’est-à-dire personnalité multifacettes et rejet de ce qui enferme et des logiques déterminées…), la vitalité (besoin de sensations et d’émotions, envie de faire bouger les choses, goût pour l’expérimentation et l’apprentissage…) et le besoin de sens (mise en avant du développement durable, besoin d’évasion, de rêve, de prendre du temps pour soi, recherche de qualité de vie…).
Les principales voies à explorer
Dès lors, le Carnet de route de la montagne propose plusieurs recommandations pour s’affirmer à l’avenir comme une destination majeure :
1 ) S’ouvrir à la diversité des clientèles, en travaillant notamment sur les clientèles « exclues » (jeunes, seniors, CSP intermédiaires à faibles)
2) Capitaliser sur une montagne forte et plurielle : jouer sur la complémentarité des saisons, la diversité des territoires, exploiter la dimension transfrontalière…
3) Inviter le client à vivre une expérience : expérience de la nature préservée, de l’authenticité, de la contemplation des paysages, expérience sportive… Il s’agit ici de repenser la façon de « consommer » la montagne.
4) Organiser la qualité des produits : travailler sur l’accessibilité de l’offre (faire tomber les barrières mentales, techniques ou financières) et offrir une image qualitative de la destination montagne.
5) Repenser l’hébergement, en valorisant les hébergements qualitatifs, innovants, inscrits dans des logiques durables…
6) Investir les réseaux : considérer Internet comme un maillon essentiel de la stratégie marketing, en s’appuyant sur le web 2.0, les réseaux sociaux (Facebook, Twitter…)
7) Structurer la programmation commerciale : considérer les Tours opérateurs comme de véritables partenaires, mais aussi segmenter l’offre, en proposant des produits plus « ski », d’autres plus « vacances à la montagne » (multi-activités).
Quelles traductions de ce Carnet de Route de la montagne en Isère ?
Troisième département de montagne le plus visité par les Français – derrière la Savoie et la Haute-Savoie – l’Isère souhaite mettre davantage en avant la diversité de ses territoires. « A première vue, l’Isère peut apparaître comme étant assez disparate. Mais c’est davantage un atout à mettre en avant : nous disposons d’une offre variée, qui va de la station village aux grands domaines skiables. », constate Isabelle Pissard, directrice d’Isère Tourisme. Partant de là, « il n’est pas forcément pertinent de mettre en avant la bannière Isère, mais plutôt les territoires à forte identité comme le Vercors ou la Chartreuse », estime Christian Pichoud, président d’Isère Tourisme, vice-président du Conseil général de l’Isère et président du Parc National des Ecrins. Dans cette optique, chaque territoire doit mettre en avant ses spécificités, comme le cyclotourisme pour l’Oisans, ou la spiritualité et le vol libre pour la Chartreuse.
Isabelle Pissard et Christian Pichoud, respectivement directrice et président d’Isère Tourisme
Le Carnet de Route de la Montagne insiste aussi sur la nécessité de segmenter davantage les offres touristiques, afin de s’adapter à tous les publics. « Par exemple, en hiver, un séjournant sur deux ne skie pas. C’est pourquoi on ne doit plus baser toute notre communication sur les kilométrages de pistes ou le débit des remontées mécaniques, mais plutôt sur la valorisation de la montagne dans son ensemble. Le magazine Mon hiver, qui sera notamment distribué dans le TGV, va apporter un éclairage nouveau sur les séjours à la montagne en Isère », indique Isabelle Pissard. Plutôt que de rester dans une logique de classification en pistes vertes ou noires, Isère Tourisme estime qu’il est préférable de décliner les sports d’hiver en gammes (débutant, ski fun ou sensations fortes). Et Christian Pichoud d’ajouter : « Aujourd’hui, il faut oser dire aux clients que des vacances à la montagne, ça se passera bien de toute façon, avec ou sans neige. Il y a quelques années, on défendait la diversification avec une approche climatique, afin de faire face aux hivers sans neige. Le Carnet de route de la montagne démontre qu’aujourd’hui, cette diversification peut se défendre de manière commerciale, afin de mieux répondre aux attentes variées des clientèles potentielles de la montagne. » La diversification passe aussi par une meilleure structuration de l’offre outdoor en fonction du public : insister sur le plaisir dans l’effort et la performance pour un public sportif, dans le plaisir de l’initiation pour une clientèle « curieuse », et sur le plaisir de la contemplation pour les « jouisseurs »…
Et quid de la mise en application concrète de ces principes ? « Nous ne sommes pas là pour être directifs, mais plutôt pour être un agitateur d’idées. Notre rôle est de donner des outils, de relancer régulièrement les stations pour évaluer comment chacune envisage de travailler sur ces problématiques. Mais il faut vraiment faire du sur-mesure, conclut Isabelle Pissard.
Martin Léger
* Agence de développement touristique de la France
** Rhône-Alpes Tourisme, Savoie Mont-Blanc et la DATAR (Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale)