Le Musée dauphinois interroge l’adaptation des sociétés alpines

Alpins. 7000 ans d’histoires est la nouvelle exposition de référence et tous publics du Musée dauphinois. Son fil rouge : la capacité des habitants des Alpes à s’adapter à leur milieu singulier, et cela depuis le Néolithique. Son propos déconstruit au passage plusieurs idées reçues. Les explications d’Olivier Cogne, directeur du musée départemental isérois, également rythmé par plusieurs temps forts d’ici à l’automne.

Qu’est-ce qui a motivé le remplacement de Gens de l’alpe, l’exposition phare du musée de 1998 à 2022, par Alpins. 7000 ans d’histoires, à laquelle une centaine d’acteurs culturels, scientifiques et institutionnels ont contribué ?

Olivier Cogne : Il y avait tout d’abord la volonté d’actualiser les contenus de Gens de l’alpe, qui ont beaucoup évolué en un quart de siècle, à l’appui des dernières recherches scientifiques. Il était nécessaire de prendre en compte les problématiques contemporaines, et en particulier le défi climatique. Il fallait aussi revoir, après le tournant du numérique, la mise en scène de cette exposition attachée à faire le récit de l’histoire des sociétés de montagne, du Néolithique à aujourd’hui.

Cette épopée de 7000 ans, en trois parties, montre combien les Alpins ont su composer avec un milieu souvent hostile, mais aussi faire face à de multiples événements ?

O.C. : Les communautés alpines n’ont effectivement cessé de s’adapter à leur environnement singulier, marqué par la pente, la neige, le froid. Elles ont également su s’adapter à des faits politiques, militaires, économiques et culturels ayant jalonné leur histoire : conquête de la Gaule alpine par Rome, romanisation des modes de vie, rattachement du Dauphiné à la France, la circulation des hommes et des idées dans l’espace alpin du XVIIe au XIXe siècle, la révolution industrielle, le développement de l’alpinisme et du tourisme…

En sera-t-il de même avec le réchauffement climatique que vous abordez dans la troisième et dernière partie de l’exposition ?

O.C. : La question du changement du climat, qui n’était pas abordée dans Gens de l’alpe, nous est apparue à l’équipe du musée et au comité de pilotage dédié pour ce projet comme absolument incontournable dans cette nouvelle exposition. D’autant que les études scientifiques montrent combien les territoires d’altitude sont plus impactés que d’autres. Les Alpes sont à la fois un observatoire majeur du changement climatique et un espace à protéger. Les Alpins ont déjà commencé à s’adapter. Nous évoquons effectivement les initiatives en matière de transition déjà prises par des acteurs publics et privés.

Vous faites état d’avancées dans la connaissance des communautés alpines au cours de ces 25 dernières années. Lesquelles par exemple ?

O.C. : Oui, notamment pour les périodes préhistoriques. Grâce, par exemple, aux fouilles archéologiques de deux sites – la Grande Rivoire dans le Vercors et l’Aulp du Seuil en Chartreuse -, nous connaissons mieux les modes de vie des Alpins au Néolithique. Ces recherches montrent, il y a 7000 ans, la coexistence des cueilleurs-chasseurs et des premiers bergers. Ils commencent alors à se fixer pour constituer des communautés humaines qui formeront les premiers villages des Alpes. La nouvelle exposition a intégré ces travaux.

L’exposition bat en brèche des stéréotypes qui ont la vie dure. Pouvez-vous nous en citer quelques-uns ?

O.C. : Il y a évidemment l’idée persistante de populations alpines arriérées et incultes, symbolisée par le fameux « crétin des Alpes ». Des études d’historiens ont démontré que ces populations montagnardes, notamment dans les territoires de culture protestante des Hautes-Alpes et de l’Isère, avaient un taux d’alphabétisation très élevé. Voire plus élevé qu’en plaine. L’exposition déconstruit aussi l’idée que les montagnes empêcheraient les gens de se rencontrer. Il y a eu des mouvements de populations dès la préhistoire qui se sont fortement accélérés au tournant du XXe siècle. La carte en relief animée, installée dans la première salle, permet de visualiser ces grandes mobilités humaines dans les Alpes françaises, depuis les premiers peuplements.

Ce dispositif multimédia est la pièce maîtresse numérique de l’exposition, qui se veut pour autant mesurée en matière d’outils digitaux. Pourquoi ce parti pris ?

O.C. : Effectivement, la scénographie d’Alpins. 7000 ans d’histoire, signée Maddalena Giovannini, ne cède pas à la digitalisation à tout crin ! L’écran est déjà bien assez présent dans nos sociétés contemporaines. Nous avons voulu revenir aux collections que nous conservons – 400 000 pièces au total ! -, et à travers elles, réaffirmer la matérialité qui caractérise un musée par rapport à d’autres lieux de culture. Ces collections sont des témoignages historiques qui apportent la preuve de ce que nous avançons. Dans un monde où le virtuel gagne chaque jour du terrain pour le meilleur comme pour le pire, revenir à des techniques de transmission et de médiation plus classiques, ce n’est pas plus mal. Cela ne nous empêche pas d’utiliser des outils numériques au besoin. Des cartels « augmentés » viennent ainsi judicieusement enrichir le contenu des dioramas, ces intérieurs d’habitat reconstitués, repris de Gens de l’alpe.

Quelles sont les deux pièces que vous aimeriez évoquer parmi les centaines exposées ?

O.C. : Il y a bien sûr le bronze en double Hermès de Jupiter-Ammon du 2e siècle après J.-C., retrouvé à Saint-Laurent-du-Cros. À l’échelle des Alpes, c’est une merveille à la fois par sa beauté, et par ce qu’il raconte sur la présence romaine à 1000 mètres d’altitude et son influence culturelle et cultuelle sur les populations gauloises. Cette pièce est un prêt pour un an du Musée Muséum départemental des Hautes-Alpes à Gap. Je citerai aussi le coffre de charité, issu des collections queyrassines du Musée dauphinois, collectées par Hippolyte Müller, son fondateur. Il témoigne de la solidarité et de l’entraide dans les communautés alpines.

L’exposition Alpins. 7000 ans d’histoire, est bilingue et tout public. Que propose l’exposition pour les plus jeunes ?

O. C. : Nous avons mis en place un parcours ludique avec la création de deux personnages par l’illustratrice grenobloise Flore Hénocque, une petite bergère, Charlotte, et son chien Djoka. Ils accompagnent les jeunes visiteurs dans leur visite, ponctuée de jeux et de manipulations. À l’accueil, les enfants peuvent demander le quiz créé spécialement pour l’exposition et baptisé Les Incoll’Alpes. Il y a bien évidemment des animations pour les scolaires et pour le public familial tout au long de l’année.

Quels sont les temps forts qui vont rythmer la nouvelle saison culturelle 2024-2025 ?

O.C. : En avril prochain, une exposition photographique de Jacques-Henri Lartigue, en lien avec le thème de la nouvelle grande saison culturelle du Département Des habits et nous. Aux Journées du Patrimoine, en septembre, le public aura à nouveau accès aux jardins du musée qui se refont actuellement une beauté. Enfin, en décembre, nous embarquerons nos visiteurs pour le Sénégal…

Crédits photos : Musée dauphinois – Département de l’Isère.

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