Depuis un peu plus d’une semaine, le gouvernement français reste sourd aux tentatives des stations de sauver une saison qui s’annonçait déjà compliquée en raison de l’absence quasi-totale de la clientèle étrangère. Mais, en n’accordant pas le droit aux domaines skiables d’ouvrir à Noël, Messieurs Castex et Macron se rendent-ils comptent que le ski alpin est LE produit d’appel qui incite les touristes à venir en station ? Dans l’interview qu’il nous a accordée ce matin, Alexandre Maulin, président de Domaines Skiables de France, nous confie que 75 % des séjours en stations pour Noël ont été annulés à ce jour. Si l’on ne peut par ailleurs que se féliciter de la mise en valeur d’activités « annexes » – dont nous faisons la promotion à longueur d’année sur ce site et dans nos magazines Actumontagne Savoie Mont-Blanc et Actumontagne Dauphiné – pour tenter de compenser l’absence de ski alpin pendant les vacances, soyons lucides.
Une formule qu’aime à répéter Laurent Reynaud, le délégué général de Domaines Skiables de France, résume parfaitement la problématique à laquelle doivent faire face les stations depuis plusieurs années maintenant, mais encore davantage en cet hiver de crise sanitaire : « Le tout ski, c’est fini. Mais sans le ski, tout est fini. »
Après une nouvelle réunion entre Jean Castex et les acteurs de la montagne lundi 30 novembre, pas d’infléchissement de la position du gouvernement, simplement la promesse d’une « clause de revoyure » au 11 décembre, pour… étudier les conditions d’une réouverture en janvier. Mardi 1er décembre, Emmanuel Macron annonçait que le gouvernement réfléchissait « à des mesures restrictives et dissuasives » pour empêcher les Français d’aller skier à l’étranger pendant les vacances de Noël. Mercredi 2 décembre, selon une formule désormais bien rôdée, Jean Castex assurait le service après-vente du Président de la République, en précisant quelles seraient ces mesures : en l’occurrence des contrôles aléatoires aux frontières et la possibilité pour les préfets des départements concernés d’imposer une quarantaine de sept jours pour les personnes contrôlées.
Quel est le problème de notre gouvernement avec le monde du ski et ses acteurs au sens large ? Pourquoi tant d’acharnement contre un secteur qui, rappelons-le, « pèse » 120 000 emplois directs et près de 10 milliards d’euros de retombées économiques, attirant chaque année 10 millions de touristes, dont 7 millions pratiquent les sports de glisse ? Pourquoi vouloir également punir les skieurs qui, faute de pouvoir assouvir leur passion dans nos stations, envisagent d’aller glisser sur les pistes suisses, autrichiennes ou espagnoles?
Deux éléments agacent profondément tous les professionnels du tourisme en montagne (et nous les rejoignons !) : l’incohérence des décisions prises par l’exécutif dans sa stratégie de lutte contre la Covid-19 (au regard de l’ensemble des autres décisions, tous secteurs d’activités confondus) et la méthode. Puisque les autorités nous répètent à l’envi que les transports publics – dont les remontées mécaniques font partie – ne sont pas des lieux de contaminations, pourquoi alors les fermer quand on laisse circuler les métros bondés?
Les protocoles sanitaires stricts mis en place par les exploitants de domaines skiables ont eu l’occasion d’être éprouvés cet été et pendant les vacances de la Toussaint, avec succès puisque aucun cluster n’y a été recensé. Évoquer le fait que le premier cluster de la Covid-19 en France soit apparu dans une station de ski (aux Contamines-Montjoie, début février 2020), sans rappeler également qu’il avait été circonscrit grâce à une remarquable gestion de crise locale, relève d’une certaine forme de malhonnêteté intellectuelle.
Même chose avec le fameux cluster géant de la station d’Ischgl (Autriche), au mois de mars, à une époque où la situation n’était absolument pas comparable avec celle d’aujourd’hui.
Dans son intervention d’hier, Jean Castex a affirmé vouloir « protéger [ses] concitoyens en les empêchant d’aller se contaminer en Suisse » et « rétablir un principe d’équité vis-à-vis des gestionnaires des stations de ski françaises ». Encore une fois, où est la logique ? Les voyages à l’étranger n’étant pas interdits pendant les vacances de Noël, doit-on en conclure que seules les stations de ski suisses ou espagnoles seraient des lieux de contamination ?
Il n’est pas sûr qu’interdire aujourd’hui à la clientèle française d’aller skier à l’étranger rapporte demain des recettes supplémentaires aux domaines français. L’arbitrage risque davantage de se faire au profit d’autres destinations de vacances (par exemple des pays « au soleil ») qu’entre stations françaises ou suisses /espagnoles/autrichiennes.
L’un des arguments maintes fois évoqué par le gouvernement pour justifier la non-ouverture des domaines skiables français est la volonté de ne pas surcharger les hôpitaux par l’accidentologie induite par le ski. Avec environ 50 000 blessés par an sur les pistes de ski françaises, dont 95 % sont pris en charge directement par les cabinets médicaux des stations, « seulement » 250 personnes sur l’ensemble de l’hiver (dont environ 50 à Noël, si l’on considère la fréquentation à cette période de l’année), doivent être prises en charges par les hôpitaux. Sans vouloir nier la pression qui pèse actuellement sur les hôpitaux, et même si la réalité des soins en station et dans les vallées est un peu plus complexe que ces seuls chiffres pourraient le laisser croire, on peut tout de même supposer que les soignants ont les moyens de prendre en charge ces quelques accidentés du ski. D’autant plus que selon les dernières projections de l’Institut Pasteur, le nombre de patients Covid en réanimation en France à la mi-décembre devrait se situer « seulement » entre 1600 et 2600.
Concernant la méthode du gouvernement, on n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi Matignon réunissait les acteurs du tourisme en montagne le lundi 23 novembre, évoquant une décision sur l’ouverture ou non des stations de ski pour Noël sous dix jours, selon l’évolution des facteurs épidémiques, pour qu’Emmanuel Macron annonce dès le lendemain, lors de son allocution télévisée, l’impossibilité de les ouvrir avant janvier. Quand on sait que le 22 novembre, Roberto Spéranza, le ministre italien de la Santé, déclarait sur les antennes de la Rai 3 que « le gouvernement italien travaille à une initiative commune avec la France et l’Allemagne pour ne pas ouvrir les stations de ski à Noël », n’est-on pas en droit de penser que la décision française de laisser nos remontées mécaniques à l’arrêt pendant les vacances était déjà actée ?
Depuis plusieurs jours, la colère de l’ensemble des socios-pros du monde de la montagne monte. Ils contestent cette décision injuste du gouvernement de ne pas ouvrir les stations de ski, alors que les lieux clos tels que musées, théâtres, cinémas (et même la Tour Eiffel !) pourront reprendre leur activité à partir de la mi-décembre (et c’est tant mieux !).
Un référé-liberté – financé par la région AURA, et soutenu au total par 6 régions et 15 départements, toutes couleurs politiques confondues, et les professionnels de la montagne – a été déposé aujourd’hui au Conseil d’État. Il vise à faire annuler la décision gouvernementale d’imposer aux domaines skiables de rester fermés jusqu’en janvier. Croisons maintenant les doigts pour que la plus haute juridiction administrative française donne raison aux requérants, afin de laisser les domaines skiables travailler. Ils ne demandent que ça… et nous aussi !
Martin Léger
Photo de une : De nombreuses manifestations des socios-pros des stations ont eu lieu dans tous les massifs français ce jeudi 3 décembre, comme ici au Corbier, où environ 100 personnes ont dessiné un « SOS » © Corbier Tourisme